Le visiteur de madame Tchakounté (2/6)


Au fil de ses visites, l’identité de l’homme n’arrêtait pas d’attiser la curiosité des gens du quartier. Que venait-il donc faire chez madame Tchakounté le mercredi et le vendredi ? Pourquoi se faisait-il si discret au point de ne même pas rendre ses salutations à celui ou celle qui, l’ayant croisé par hasard sur son chemin, les lui donnait avec toutefois cette méfiance que l’on garde souvent devant un visage inconnu ? Et surtout, pourquoi le mari et les enfants le laissaient-ils seul à seul avec madame Tchakounté ? Ces questions entraient à un moment ou l’autre dans la conversation des adultes et des enfants en âge de parler. Et, comme la nature a horreur du vide, et que la curiosité, à l’image d’un fleuve en crue, sait toujours trouvé le chemin qui la conduira à la mer, on s’était mis à tricoter des hypothèses sur l’identité du visiteur. Certains prétendaient qu’il était un prêtre-exorciste à la renommée douteuse. Des personnes de leur connaissance leur auraient rapporté que ce dernier était le gourou d’une église du réveil qui se faisait forte de combattre la sorcellerie. Et, compte tenu du fait que le commerce de madame Tchakounté périclitait (les rayons de son magasin fondaient comme glace au soleil et on disait qu’elle accumulait des arriérés dans ses cotisations de mutuelle commerçante), le raccourci fut donc vite trouvé sur l’objet de ses visites. En effet, il venait prier avec elle pour chasser le démon qui devait nuire à la bonne marche de ses affaires. Cependant, l’habitude était, dans pareille situation, de plutôt inclure toute la famille de l’intéressé(e) à ces séances d’exorcisme, puisque le mal pouvait soit venir directement d’une personne de son entourage, auquel cas les œuvres malfaisantes de cette dernière auraient été neutralisées au cours des séances, soit alors le mal pouvait l’atteindre par le truchement d’une personne familière qui se serait alors trouvée contre son gré érigée en sorte de cheval de Troie, mais dans ce cas ci également la dite personne se devait de participer aux séances afin d’être libérée de l’emprise des méchants. Pour ces raisons, la désertion du mari et des enfants à l’arrivée de l’homme indiqua aux personnes bien informées en matière de pratiques occultes que les visites pouvaient avoir une toute autre finalité. Bien sûr l’homme était toujours considéré comme un prêtre-exorciste, la situation commerciale de madame Tchakounté était toujours des plus chancelantes, mais cette fois elle n’était plus causée par le travail souterrain de quelques volontés obscures, et l’homme venait tout simplement lui délivrer quelques rites propitiatoires sensés délivrer son commerce de la ruine. Cette hypothèse eut un certain écho auprès des esprits aveuglés par leur croyance aux mystères, mais elle fut très vite éclipsée par une autre plus terre à terre, qui laissait tout bonnement entendre que le visiteur de madame Tchakounté était en réalité son amant.  

© Timba Bema, 2010

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