Littérature africaine, bourgeoisie et institutions littéraires
En ce qui concerne le rapport que les auteurs
africains entretiennent avec la langue française, qui continue d’être perçue
comme une langue de domination, du fait même de la violence avec laquelle elle
a été imposée, il est bien heureux de remarquer le ridicule de la position de
quelques-uns qui, tout en bénéficiant d’un système, attaquent son vecteur
essentiel qui est la langue. De la même manière, une dissidence dans la langue
ne saurait être perçue uniquement comme l’adjonction de-ci de-là de mots ou
d’expressions en langues africaines. Cette pratique n’est pas une critique
systématique du français, mais une tentative de l’enrichir, en ce sens que
l’artiste, pour s’exprimer, a besoin d’être au plus près de son objet, et bien
souvent, la langue, telle qu’elle lui est donnée, ne lui permet pas le saisir
dans sa complexité. Au-delà de cette remarque liminaire, la question de la
langue française sera dépassée lorsque les Africains se l’approprieront au
travers d’institutions littéraires qu’ils mettront sur pied. Pourquoi ne pas
imaginer des académies du français en Afrique qui remodèleront cette langue
selon les aspirations de ses locuteurs ? Car oui, il faut le dire, l’avenir de
cette langue se jouera en Afrique. Il faut bien admettre que la centralité de
Paris dans la production et la consommation littéraire en français est le
résultat d’une volonté des pouvoirs publics français, qui y voient un
rayonnement pour leur pays. Toutefois, il faut constater que cette langue, pour
perdurer, a besoin de périphéries fortes. D’ailleurs, ce serait la preuve
ultime de son dynamisme. En posant donc l’impératif de la création
d’institutions littéraires en Afrique, il me semble que nous dépassons les
querelles circulaires et improductives qui ne traduisent rien d’autres que
notre propre impuissance et celle encore plus flagrante de nos états. De plus,
la question de la réception s’en trouverait réglée, et il y a fort à parier que
même les discours qui sous-tendent les œuvres, les problématiques, seront
radicalement opposés de ceux auxquels nous sommes actuellement confrontés, non
pas simplement à cause du passage inexorable du temps, mais des préoccupations
nouvelles que cette bourgeoisie introduira dans le corps même des textes.
Enfin, au sujet de l’engagement il est très
juste de remarquer qu’il a très longtemps été le seul prisme sous lequel les
œuvres africaines ont été vulgarisées auprès du grand public, réduisant ainsi
la profondeur des démarches de leurs auteurs. En ce sens, la revendication de
liberté ne peut être que compréhensible et parfois même encouragée. Toutefois
se pose la question suivante à laquelle on ne peut échapper : de quoi l’auteur
africain doit-il se libérer ? De la prépondérance de la France dans la
littérature africaine ou d’une opinion africaine informe et hétéroclite qui
exigerait de ses auteurs une attitude combative à l’égard de cibles désignées ?
La critique de l’engagement est nécessaire et je dirais même salutaire, mais
encore faut-il qu’elle se montre pertinente, pour justement élargir la
perception courante des œuvres africaines. En effet, l’engagement ne saurait
être réductible à l’acte d’écrire. Même si écrire n’est pas un acte anodin. Il
est d’abord et avant tout un geste personnel. Une interposition, en quelque
sorte. Ce n’est pas parce qu’on nomme les choses qu’on les dévoile. L’écrit est
engagé parce que celui qui le porte l’est. De plus, il surgit avec cette
intention d’ôter le voile qui masque notre regard sur une réalité quelconque.
Enfin, il se singularise par le fait qu’il démonte les structures sociales qui
produisent cette réalité. Au-delà de la posture des auteurs, qui est
critiquable, en ce sens que la distance entre l’homme et le créateur est toujours
incommensurable, il nous paraît juste, même si cette catégorie est forcément
réductrice, de marteler que l’engagement n’est pas une question d’écrit, mais
de personne.
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