L'hypothèse d'une oasis

Je marchais dans la rue avec mon ombre quand nos regards coïncidèrent avec celui d'une déesse nue affichée sur un panneau publicitaire géant. Elle, mon ombre, me demanda alors:"Connais-tu la signification de ce corps nu?" Et moi de serrer fort mes jambes autour de mon membre. © Timba Bema, 2010

Après un repas de famille bien arrosé Manolo Santeria égorgea sa femme, il égorgea son fils unique et ses sept filles, il prit un bain chaud, il refila son plus beau costume-cravate et sortit dîner dans un restaurant des faubourgs. © Timba Bema, 2010

M. Dibango avait ses petites habitudes quand il se trouvait pour la première fois dans une ville. D'abord il visitait une maternité. Ensuite une prison. Enfin un cimetière. Et c'est seulement après avoir accompli cette sorte de rituel qu'il pouvait s'adonner, le cœur serré, aux joies équivoques et ternes du tourisme de masse. © Timba Bema, 2010

Au milieu de sa 102e année le père Dikandjo Satrape se trouva soudain prit d'un malaise. Il se plaignit de souffrir de la tête, du cœur, du ventre, des jambes, de tous les organes à la fois. Dans un intervalle d'accalmie il eut l'intuition de sa mort prochaine. Alors, à sa famille éplorée autour du lit, il exprima ainsi sa dernière volonté : « Qu'on me donne donc à boire une bière bien frappée ! » © Timba Bema, 2010

Le 9e jour du mois de Safar de l’an de grâce 1432 le souverain fit un rêve où il rôtissait sur un bûcher monté sur la place du marché. A son réveil il consulta un à un les mystagogues du palais qui lui en donnèrent des interprétations divergentes et fort peu réjouissantes. Après un conciliabule de trois heures d’affilé avec son ombre il les fit arrêter et jeter dans un bûcher monté sur la place du marché. © Timba Bema, 2010

L'homme marcha 40 jours en quête de la prospérité. Il franchit une montagne une forêt et un désert. Au soir du 41e il atteignit une mer derrière laquelle il soupçonnait la prospérité. Sur la berge il patienta 40 jours et au matin du 41e il défia la mer. Hélas ne sachant pas nager il se noya à une profondeur pas plus haute que sa taille. © Timba Bema, 2010

Un bandit de grand-chemin avait la conscience si troublée par ses nombreux crimes qu'il se rendit au monastère pour les confesser auprès d'un prêtre qui l'écouta pieusement et lui donna la prière du pardon à la suite de quoi l'homme reprit ses œuvres de plus belle et ne connut plus jamais le remords. © Timba Bema, 2010

On lui avait seulement toujours dit de ne plus aller se soulager auprès des filles de joie car elles bichonnaient seulement dans une zone infestée de hors-la-loi mais lui il refusait seulement d'écouter et disait seulement qu'on essayait de lui faire peur et qu'on ne voulait seulement pas du tout son bien et ainsi de suite jusqu'au jour où il fut seulement ordonné et affecté seulement à l'intérieur du pays. © Timba Bema, 2010

(...) ma grand-mère m'avait dit que longtemps longtemps avant les sorciers versaient la poudre sur des gens et que ceux-ci mouraient et qu'on les pleurait et qu'on les veillait et qu'on les enterrait et que la nuit-même qu'on les enterrait les sorciers versaient encore la poudre sur leurs tombes pour les réveiller et les vendre à des albinos qui allaient les vendre loin loin derrière les eaux (...) © Timba Bema, 2010

Je souffre de l'oubli du nom. Mon maître le sultan m'appelle Askar. Mais je sais que ce n'est pas moi. Car je me souviens de ma Bohême. De l'armée de Charlemagne qui m'y captura. De Verdun où on m'émascula. Avant de me vendre à des Vénitiens. Et ceux-ci de me vendre au sultan d'El Andaluz. Oui Je suis un vieillard qui souffre de l'oubli du nom. Mon maître le sultan m'appelle Askar. Mais je sais que ce n'est pas moi. © Timba Bema, 2010

En 78 le journal m'envoyait à Ténérife interviewer le Dicta-teur. On l'accusait de l'assassi-nat de ses contradicteurs, de l'abolition des libertés, de la spoliation des richesses. L'in-terview dépassait mes attentes : il répondait sans détour. A son terme je me soulageais d'une question : quelle image devrait-on garder de vous ? Il souriait avec mélancolie : celle d'une solitude essayant de lever les choses. © Timba Bema, 2010

Pauvre Vincent, mon bon ami Vincent, le Pauvre, ignorait jus-qu'à ce jour que tout livre est écrit successi-vement par plusieurs mains, et est pensé successivement par plusieurs esprits. Pauvre Vincent, on l'a con-solé de sa désillusion seulement avec un bon verre de notre cher poison national appelé Tetenyika, en traduction littérale, les mains qui ne laissent pas seulement l'intérieur exact. © Timba Bema, 2010

La femme de mon ami Simplice, jaune, et lui noir, tout comme l'auteur, lui a demandé comme ça après la Chose, Pourquoi vous les noirs vous avez une si grosse Chose, alors, mon ami Simplice, lui a répondu à sa femme, le lendemain soir, après la Chose, par une demande de divorce. © Timba Bema, 2010

Hier soir, mon ami, mon bon ami Simplice, m’a raconté que dans son pays (dont je tairai ici le nom), il y a, dans une brousse (dont je tairai ici le nom), un arbre (dont je tairai ici le nom), qui se met à chanter ceci quand on touche son tronc: Je suis mort – Parce que les oiseaux ont mangé de mes fruits. © Timba Bema, 2010

Hier j'ai fait la connaissance d'un individu étrange nommé Robert Benson. Il a fait cinq fois le tour du monde, visité une soixantaine de pays, charmé quelques milliers de femmes, mangé de toutes sortes de mets, vu de ses yeux des édifices originaux, mais de toutes ses expériences il n'a été véritablement marqué que par un cortège funèbre sur les hauteurs de Madre de Dios au Pérou. © Timba Bema, 2010

Le Professeur Ndem Ekombang, Diplômé d'Histoire de l'Art à l'Université du New Hampshire, Déclarait à Muyuka dans une Conférence à jamais gravée dans la Mémoire d'un Auditeur agi par la Curiosité, que l'Art atteint la Maturité de pair avec l'Empire, et la Grandeur avec son Déclin. © Timba Bema, 2010

J'ai fait ce jour la rencontre du dieu Maya nommé Ah Puch... Il était vêtu d'un costume forain écarlate et son parfum avait un gout de gentiane... On a marché en silence un quart d'heure à peu près... Main dans la main... Ou si vous voulez la sienne dans la mienne... On a marché... Puis il m'a dit comme ça: A tout à l'heure... © Timba Bema, 2010

Le vieux mystère de la page blanche est enfin percé à jour. Et je vous le donne tel qu'il m'a été donné : Ce qui Doit être Est Dans Ce qui Est Même si Il N'y est pas Encore. © Timba Bema, 2010

J'ai réécris La recherche de Proust sans y changer un seul mot, sans y mettre un seul point supplémentaire, sans y ajouter ni soustraire une seule virgule, et je puis dire à présent que je suis l'auteur, l'auteur véritable de La recherche de Proust. © Timba Bema, 2010

Les chroniques du suicide d'un personnage sont prêtes, je veux dire que je n'y trouve rien à ajouter ni à retrancher, et l'idée même d'y retourner me plonge dans l'abattement. Bientôt j'en imprimerai quelques exemplaires, je les mettrai sous pli, je les adresserai à qui de droit, et ils iront mourir de leur plus belle mort en tombant d'une pile vertigineuse, où une main, une seule, les aurait placés, en attendant. © Timba Bema, 2010