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Affichage des articles du août, 2021

Petit Pays ou l’impossible transgression

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L’irruption de Mancho Bibixy dans l’espace public comme l’homme de la Coffin revolution interroge forcément sur la place que le cercueil occupe dans l’imaginaire collectif, et surtout les usages qui en ont été faits, en dehors de rituels mortuaires et de résurrection, de temps en temps mis en scène par les pasteurs des églises dites éveillées. Le seul autre exemple que j’ai trouvé dans la partie francophone est Petit Pays. Il est aujourd’hui entré dans les annales de la musique et son parcours est très intéressant à étudier, puisqu’il symbolise une réussite 100 % camerounaise, en ce sens qu’elle ne doit rien à l’industrie ou aux institutions musicales occidentales. Dans les années 60 à 90, pour des raisons techniques et surtout d’opportunités, les musiciens devaient s’exiler, principalement en France, en raison de la langue en partage et de l’histoire imbriquée des deux états. Petit Pays immigra clandestinement en France. Il enregistra deux albums qui connurent un grand succès. Il s’a

Requiem pour Fadimatou et Ousmane

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  I —        Tu te demandes en boucle : quel est donc ce pays où on tue femmes et enfants comme du gibier ?   La voix, tu entendais encore et toujours la voix. Pour la noyer tu as avais mis ton casque et poussé à fond le volume. Pourtant, tu entendais toujours la voix.    Elle marchait, son garçon sur son dos. Il ne devait pas avoir un an, mais son visage était celui d’un adulte qui avait déjà compris toute la tragédie de ce monde. Son monde. Elle marchait, d’un pas mal assuré, elle n’était plus là, sur ce chemin sablonneux qui la conduisait au pied de la montagne, parce qu’elle avait compris, les heures étaient pleines et rondes.    L’autre femme marchait à ses côtés, elle tenait sa fille par la main. Pour elle, pour Fadimatou, qu’elle appelait Fadi, que tout monde appelait ainsi, Fadi, Fadi-Fa, elle marchait, aussi. Mais, en vérité, sa culotte était mouillée et son urine ruisselait sur sa jambe pour former une traine que les pas des militaires derrière elle effaçaient. Même les trace

Vers un boom de la littérature africaine en France ?

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Dans un article paru en septembre 2020 dans Literary Hub, Alvaro Santana-Acuña explique comment les éditeurs espagnols, pour élargir leur marché naturel à bout de souffle, suscitèrent le boom de la littérature sud-américaine dans les années 60. La mesure de ce succès est le nombre de tirages, mais aussi de prix espagnols remportés par les écrivains sud-américains, ainsi que le prix Nobel de littérature, l’étalon international. On en compte six à ce jour : Gabriela Mistral (1945), Miguel Angel Asturias (1967), Pablo Neruda (1971), Gabriel Garcia Marquez (1982), Octavio Paz (1990) et Mario Varga Llosa (2010). Des écrivains connus et lus à travers le monde et dont certains le seront encore dans 100 ans. Pour en arriver au prix Nobel de littérature, des ingrédients ont contribué à la montée en puissance de la littérature sud-américaine. On peut notamment citer : la starisation des écrivains, la marchandisation de la littérature (dans le sens de sa démocratisation ou popularisation), le for

Deux cœurs dans la poitrine

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  « Allah n’a pas placé deux cœurs à l’intérieur de l’homme. »   Coran, sourate 33 On entend souvent dire : « Si on t’explique le Cameroun et tu dis que tu as compris, c’est qu’on ne t’a pas bien expliqué. » Le Camerounais serait donc incompréhensible, y compris pour lui-même. Se placerait-il devant un miroir qu’il ne verrait qu’un épais nuage de fumée grise, où en vain il scruterait les traits d’un visage humain, l’expression de sentiments, d’émotions et pourquoi pas des signes qui le rattacheraient à telle ou telle aire de culture. Cette assertion signale aussi que le Camerounais échappe à tout regard extérieur, attentif, vigilant, incisif. Cette phrase annonce au curieux, à celui qui est avide de connaissance : « Passe ta route, le Camerounais est et demeurera un mystère. » Et si ce dernier insiste, on lui assènera alors : « Le Cameroun c’est le Cameroun. » Phrase sanction. Comme un couperet. Parole d’évangile qui ne se discute pas comme le goût de la bière ou la couleur du ciel. On

Le retour de la poésie: interview

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1 — Bonjour Timba Bema. Nous sommes heureux de vous recevoir sur Biscottes littéraires. Écrivain, musicien, vous êtes un artiste polyvalent et multitalent. Les lecteurs sont sans doute curieux d’en savoir plus sur l’homme.  Bonjour. Je vous remercie de cet entretien. Il est toujours difficile de se définir, c’est-à-dire de tracer une frontière entre soi et les autres, de délimiter un espace où on serait soi et pas l’autre. Je pense que cette tendance est liée à la propriété. Il se trouve que dans certaines civilisations, l’individu ne peut se saisir que par rapport à ses possessions. Il est parce qu’il possède, il est par ce qu’il possède, il est réductible à ses possessions. C’est donc en considérant la propriété que l’on parle de soi avec certitude, sans réserve, sans crainte finalement de passer à côté du sujet, c’est-à-dire de soi-même. Je ne vais donc pas me lancer dans cet exercice. Toutefois, je vais vous raconter un souvenir qui, je crois, a construit l’homme que je suis devenu