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La place des poètes – Aube

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Territoire. Là où bute l’esprit. S’ouvre la voie de l’imaginaire, qui est lui-même un moyen de saisir l’espace. L’esprit ne veut pas laisser d’ombre. Il veut tout éclairer.   Ici, on ne parle pas de commerce. On ne dit pas : la poésie ne se vend pas. Le nombre de livres vendus n’est pas la mesure du talent, du génie, de la volonté d’ouvrir des portes, les unes après les autres, afin que la vie se rapproche toujours un peu plus de son état d’accomplissement, la bonne vie, la vie réussie, celle des accords plus que parfaits entre soi-même et les autres.   L’argent achète tout, dit-on, ce qui signifie qu’il est la mesure de tout. Tout devient fatalement argent, dans le cycle de marchandise, et l’argent, pour se multiplier, pour enfanter ses semblables, se reproduire, passe par l’étape transitoire de la marchandise qui sera consommée. Le circuit parfait. Éternel, pense-t-on. Le rythme de la vie. Comme le cycle de la pluie qui alimente les rivières et les fleuves et la végétation, pu

Cette histoire de la violence

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Par où commencer ? Par où ? Pourtant, il faut bien commencer quelque part. Il s’agit d’un fait divers. Mais d’un fait qui n’est pas du tout banal. Car il révèle les convictions profondes et montre comment le passage à l’acte est possible. Pour l’observateur extérieur, le passage à l’acte est toujours incompréhensible, il semble une montagne infranchissable, une épreuve insurmontable. On aura tendance à invoquer la folie. La folie, un allié bien commode pour refuser d’admettre la volonté dans la manifestation de l’horreur. On voudrait se protéger de cette vérité-là, qui ne s’offre pas immédiatement au regard, comme celle du jour éclatant de lumière, mais se découvre, cachée dans un fourré. La main écarte les branches et soudain l’œil l’aperçoit. L’esprit a alors quelques secondes pour se décider : il l’accepte ou il la refuse. S’il l’accepte, il la sort du fourré, s’il la rejette, il laisse les branches se refermer autour elle. Les passions sont également convoquées. On parlera même par

Cameroun : Dikolo ou le réveil de la jeunesse Bonanjo

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Il y a 70 ans, le roi des Bonanjo, Alexandre Ndoumbè Douala Manga Bell convoqua une assise à la chefferie, sise au Parc des Princes à Bali, parce que des rumeurs couraient les rues qu’il avait vendu des terres collectives arrachées par les Allemands et restituées par les Français. Alexandre était un homme court et sec. Un physique désavantageux que contrastait la douceur de ses traits métissés. Mais, ceux-ci ne lui étaient d’aucun secours pour imposer son autorité. Pour se faire, il devait impressionner ses interlocuteurs par sa grande culture classique, ses crises de colère injustifiées et la brimade dans laquelle il était passé maître. Il lança à l’assemblée grouillante, d’une voix qui respirait la sévérité et le défi : « J’ai mangé l’argent de vos terres hein. » Et l’assemblée de répondre en chœur : « Oui. Notre père. » Comment pouvait-on contester l’autorité du roi ? Après tout, il était le fils de Rudolf, celui-là même qui avait réalisé l’unité politique des Duala contre le coloni

Dynastie et plantation

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L’économie de plantation, celle dans laquelle sont insérés les pays d’Afrique francophone, assure la constitution d’un capital, mais pas la transmission de celui-ci. Par exemple, un haut fonctionnaire va voler les deniers publics et se constituer un capital. Comme il a beaucoup de femmes et beaucoup d’enfants, son capital va être dispersé dans les querelles de succession. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que les nouvelles générations doivent recommencer presque à zéro l’accumulation du capital, et surtout, que les enfants de ce haut fonctionnaire ne sont pas assurés de conserver leur niveau de vie et de le transmettre à leurs propres enfants. Vous comprenez donc qu’avez un pareil système on ne pourra jamais se développer. La mort du père est un moment de grande instabilité en ce sens que la compétition est âpre entre ses héritiers pour capter sa fortune.  Dans une société basée sur l’économie de plantation, il y a deux types de conflits identifiables : le conflit à l’intérieur de la trib

La mère de tous les désirs

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Les camerounais ont une étrange conception de la justice. Pour eux, demander justice quand on est victime c’est être contre, vouloir le mal, la destruction du présumé coupable. C’est qu’ils voient la société comme le théâtre de la bataille que se livrent les individus pour occuper les meilleurs places, forcément peu nombreuses dans une économie de plantation. Ceux qui y parviennent peuvent donc écraser en toute impunité les autres, qui sont soupçonnés de vouloir ravir leur place. On vient d’en avoir la démonstration lors du récent point de presse de Martin Camus Mimb où, en larmes, profondément bouleversé, d’une touchante humilité, il nous raconte ses misères ainsi que celles de sa famille depuis la diffusion intentionnelle des vidéos de Malicka Bayemi prises dans son bureau et finit par demander pardon à la victime et aux siens. Vous aurez remarqué qu’il ne tente même pas d’aborder les misères de la victime. Il ne se met pas à sa place : l’essentiel de son discours étant centré sur lu

Le Bikutsi : une révolution avortée

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Avant l’arrivée du Bikutsi dans les années 80, la musique camerounaise était dominée par le Makossa, né de la rencontre du littoral avec le monde et intrinsèquement ouvert aux influences extérieures. Cette musique se dansait comme une danse de salon et même la « balle à terre », ce moment dramatique où le morceau était à son climax, s’abordait avec délicatesse. Bref, le corps était contraint dans le Makossa. Il devait se tenir, adopter les manières adéquates, se comporter. On apprenait à danser dans des groupes d’élèves qui s’appelaient « clan ». On était membre d’un clan. Un résidu des classes d’âges. On découvrait la vie ensemble, sous la surveillance des aînés qui vous instruisaient. On dansait donc selon des canons prédéfinis, dans cette institution qui fabriquait dans le fond de futurs bourgeois. Le Makossa, né à Douala, était une musique urbaine, émergeant dans une période caractérisée par l’exode rural, où des centaines de milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes venaient

« Pour qui j’écris vraiment ? » ou l’art de se poser la question

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Voici la question qu’un écrivain qui se dit africain et qui se plaint que les Africains ne le lisent pas devrait se poser : « pour qui j’écris vraiment ? » Comme vous savez, se poser des questions est un acte de courage vis-à-vis de soi-même, puisque cela nous donne l’occasion de renverser nos préjugés et nos idées préconçues. Il ne faut surtout pas chercher ici de réponse rapide, hâtive. Car, ce serait alors laisser entrer par la fenêtre les préjugés que l’on avait cru chasser par la porte. Non, ce genre de questions doit rester le plus longtemps possible à l’état de question, elle doit infuser dans l’esprit. Je pense ici à la dégustation du vin. Je ne suis pas un grand connaisseur de vin, mais l’image du rituel de la dégustation est celle qui s’impose à mon esprit. On fait tournoyer le liquide dans le verre à pied, on le porte à son nez, on trempe la langue, on aspire une gorgée que l’on fait circuler dans la bouche, de manière à être submergé par ses tanins. Puis, on avale. Ce ritue

Sauver la ville – Jour de vernissage

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  La veille, avant de me mettre au lit, je refis le parcours du Promeneur de la nuit dans Sauver la ville. Au terme de cette traversée fulgurante, je répétai  à mon corps, ce compagnon fidèle : « Tu te lèveras demain à 7 h», jusqu’à m’enfoncer dans mes propres abysses. C’est un rituel auquel je me livre quand j’ai un rendez-vous important : je parle à mon corps, et par bonheur il m’écoute. Je ne rêvai pas. Du moins, je ne me souviens pas d’avoir rêvé. A 7h, mes paupières s’ouvrirent. Je m’étirai pour chasser les restes de sommeil. Je tendis la main vers mon meuble de chevet et m’emparai des Rêveries de Rousseau, le récit poignant d’un homme trop sensible pour supporter la méchanceté de ses semblables, transformés en monstres par l’intérêt. Je lis deux pages et rangeai le livre, non sans méditer sur cet extrait : « Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères.» Je sortis du lit, allumai la machine à café ainsi que mon ordinateur portable. Le soleil brillait d’une

La chose des « Blancs » ou de l’architecture du pouvoir au Cameroun

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  Le 1 er janvier 1960, le Cameroun sous mandat français accède à l’indépendance. La ville de Yaoundé, où se déroule la proclamation est quadrillée par les militaires. La peur règne. La veille, 6 personnes sont abattues à coups de machette. Le 30 décembre à Douala, un commando tente de prendre le contrôle d’un poste de gendarmerie et de l’aérodrome. On dénombre une centaine de morts. Depuis 1957, les nationalistes camerounais se sont rebellés contre cette indépendance tronquée qui selon eux est la continuation du colonialisme par des voies détournées. Il faut avouer que les colons ont écarté tous ceux dont les vues sur l’avenir du Cameroun divergeaient des leurs. Ils ont confié les rênes à leurs obligés dont le chef de file est Ahidjo. L’une de ses premières décisions est de réfectionner le palais du haut-commissaire devenu palais présidentiel. Le marbre est importé par avion d’Italie. Spatialement, Ahidjo quitte la résidence du Premier ministre au lac pour le Centre administratif. Le

J'aime ce livre ! Patrice Nganang a lu "Sauver la ville"

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Je lis assis, couché, debout, selon le livre. Celui-ci, je l'ai lu debout, et je me rends compte, c'est sans doute l'attitude qu'il faut adopter: car ce sont des poèmes scandés en fait, beaucoup plus scandés qu’écrits. La convention de la publication a imposé une typographie spacieuse - ou est-ce la suite graphique de 'Les Seins de l'amante' ? C'est Timba Bema qui va nous dire. La première chose évidemment est que ces poèmes sont lisses - parfois il y'a une rupture camerounaise qui surprend, et fait rire, réjouit. Me réjouit, car je n'aime plus les poèmes lisses. Je lisais, et je me rends compte soudain que, de toute la littérature camerounaise que je connais, voici le premier livre qui a mis dans son cœur, une victime bamiléké, car Moukem est bien Bamiléké, Bafang, n'est-ce pas? Nous avons grandi avec des textes de toutes sortes qui nous ont fabriqué des personnages bamiléké hideux - quand écrits par des non-Bamiléké. Et Timba est Sawa. Ce