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Affichage des articles du février, 2009

La promise venait d'avoir treize ans (3/4)

Quand le corps de la promise s’allumait de ce feu étrange dont seul le benjoin sait allumer les corps, l’élu en éteignait le brasier à grands coups de langue. Alors, les doigts de cette dernière s’enfonçaient dans le moelleux des draps, son ventre chamboulait toutes les treize secondes au rythme d’un puissant séisme, et elle plantait ses dents écarlates dans le bois du repose-tête, avec sur le visage cet air de plaisir, que l’on retire en croquant dans la chair mûre d’une goyave. Savait-elle de quoi elle était le siège ? Pouvait-elle nommer cette bête qui travaillait les membranes inférieures de son sein ? Personne ne pouvait le savoir, personne, pas même cet homme, pourtant rompu à l’expérience des femmes. A ce propos, de toutes celles qu’il avait pratiquées, au-dehors comme au-dedans des liens du mariage, aucune, cela était sûr, aucune n’avait eu expression si pure, si sincère de son ressenti. Il en était encore tout ému lorsque la promise leva son bassin vers le plafond en osier, af

La promise venait d'avoir treize ans (2/4)

L’élu, dont l’esprit était remué de questions, n’en revint pas lorsque la beauté exceptionnelle de la promise se montra à lui, debout au pied du lit. De qui était-elle l’enfant ? De quels amours bénis était-elle le fruit ? Il ne le savait. Pourtant il avait sillonné le pays tout entier durant sa longue carrière de collecteur d’impôt, et jamais il n’avait vu tant de grâces, tant de fiertés, tant de souplesses mises bout à bout dans un seul corps. Alors, cet homme rompu à l’expérience des femmes, cet homme qui voulait hâter sa traversée, comprit tout de suite qu’il tenait sous la main une perle rare, avec laquelle il était désormais disposé, sinon heureux, de consacrer le reste de son temps à vivre. Etait-elle à son aise ? Elle cligna tout juste des pau- pières. Connaissait-elle déjà le frisson de la peur ? Elle renversa la tête en avant. Il la fit coucher dans ses draps et se retira dans l’antichambre, d’où il revint peu après avec un flacon d’huile de benjoin, acheté longtemps en arriè

Les fantômes du puits de Lacourbé (1/5)

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La grande guerre venait enfin de s’achever. L’armée d'Allemagne avait signé l'acte de reddition, laissant désormais le destin de cette terre perdue entre lac Tchad et les monts Mandara aux seules mains des forces alliées, composées des armées de France et d’Angleterre, auxquelles venaient s’ajouter des mercenaires recrutés pour la plupart en Somalie et dans le Caucase. Mais en vérité, on ne pouvait pas dire que la terre des Alagarno fût triste car, malgré la perte d'une dizaine de milliers de ses fils, enrôlés de gré ou de force par les belligérants, cette guerre, fût-elle grande, fût-elle mondiale, ils l’avaient toujours considérée comme affaire des autres, comme quelque chose qui ne les concernait pas sinon de loin, or, sous leurs yeux incrédules, se jouaient à coup de canons et de baïonnettes le sort de leur pays. En même temps, on ne pouvait pas dire que la terre des Alagarno fût joyeuse d’être débarrassée de l’armée de Bismarck car, tous, du vieillard le plus v

La promise venait d’avoir treize ans (1/4)

L’année de ses treize ans on la jugea mûre pour affronter son destin : être une promise . Selon la loi de la république bantoue de l’Isabankoro, une promise devait offrir son miel à un vieillard au seuil de la tombe, où elle le précipitait ensuite par la grâce de treize coups de poignard assenés au cœur. Ce rituel, communément ap- pelé la traversée , pouvait jeter quelques âmes sensibles dans l’indignation, si ce n’était dans la plus violente des révoltes, mais en raison de leur haut degré de raffinement dans les arts, et de leur maîtrise approfondie de toutes les sciences, la plupart trouvait insensé de laisser œuvrer la nature en ce moment capital de la vie : puisque la conception était le fruit d’un amusement des sens, la mort, elle aussi, se devait vivre comme un jeu, afin que la boucle de l’existence se refermât sur un bonheur. Après son éducation auprès des anciennes, on la conduisit sous des youyous et des claque- ments de langue dans la maison de l’élu, un citoyen du nom de Mpa