Les fantômes du puits de Lacourbé (1/5)


La grande guerre venait enfin de s’achever. L’armée d'Allemagne avait signé l'acte de reddition, laissant désormais le destin de cette terre perdue entre lac Tchad et les monts Mandara aux seules mains des forces alliées, composées des armées de France et d’Angleterre, auxquelles venaient s’ajouter des mercenaires recrutés pour la plupart en Somalie et dans le Caucase. Mais en vérité, on ne pouvait pas dire que la terre des Alagarno fût triste car, malgré la perte d'une dizaine de milliers de ses fils, enrôlés de gré ou de force par les belligérants, cette guerre, fût-elle grande, fût-elle mondiale, ils l’avaient toujours considérée comme affaire des autres, comme quelque chose qui ne les concernait pas sinon de loin, or, sous leurs yeux incrédules, se jouaient à coup de canons et de baïonnettes le sort de leur pays. En même temps, on ne pouvait pas dire que la terre des Alagarno fût joyeuse d’être débarrassée de l’armée de Bismarck car, tous, du vieillard le plus vieux jusqu’à l’enfant venant à peine de s'ouvrir à la conscience des choses du monde, tous avaient compris qu’un serpent venimeux en remplaçait un autre dans leur demeure, mais cela n’arrachait pas un seul frisson de peur à ces hommes et femmes qui se désignaient eux-mêmes de la lignée des chasseurs célestes.


Les armées de France et d’Angleterre avaient donc chassé le serpent allemand de leur pays, lors d’une dernière bataille qui se déroula autour du puits de Lacourbé, le seul point d’eau dans un rayon de dix kilomètres, dont la possession donnait un avantage stratégique sur la partie adverse. Cependant, un évènement étrange allait se produire au plus fort du combat. En effet, lorsque l’armée allemande se mit à faiblir, puisque attaquée simultanément sur deux fronts, une dizaine de ses haut gradés, refusant l'éventualité de se soumettre à leurs ennemis, se précipitèrent dans le puits où, le commandant français en charge des opérations sur le front sud, fit jeter autant de bâtons de dynamite pour s’assurer de la mort de ces fuyards indignes selon lui de la tenue militaire, quitte pour cela à rendre le puits impraticable. D’ailleurs, avec la reddition sans condition des allemands, le puits de Lacourbé et au-delà, toute la terre aride des Alagarno, avaient retrouvé le parfait anonymat des cartes géographiques. De plus, l'armée de France était descendue dans la forêt, ne laissant derrière elle qu’une brigade chargée de surveiller la frontière avec la terre dominée par leur allié de circonstance, vite redevenu au lendemain de la victoire leur ennemi héréditaire.

© Timba Bema, 2008

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