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Affichage des articles du octobre, 2008

Venu par une nuit orageuse de Septembre

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Septembre. Il était venu avec l’orage. Avec le sourire. Tandis que nous regardions la télévision. Nous. Quatre. Emerveillés par le décor baroque d’un feuilleton à l’eau de rose. Et il avait prit sa place chez nous. Bien au chaud. Je ne savais pas encore. Pour longtemps. Il s’était assis à côté de ma petite sœur. Noha. Sans que ni père ni mère ne réagissent à son intrusion dans notre intimité. A son viol des civilités les plus terre à terre. A sa ruse des bonnes idées et des bonnes intentions. Car ils étaient tout à fait absorbés par le feuilleton dont ils commentaient à voix déployée les rebondissements successifs. Qui était cet homme au sourire parfait et aux gestes en retenue ? Cet homme que ma surprise était loin d’ébranler ? Je me posais toutes ces questions quand mes yeux d’enfant frôlèrent sa peau. Comment se faisait-il que je ne l’eusse pas remarqué au premier abord ? Or il sautait aux yeux les plus clairs que le visiteur n’était pas comme nous. Le bruit des parents l’avait d

Gerganah Kovalevskaïa ou L’Autre Expérience du Goût

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© Irving Penn  Gerganah Kovalevskaïa croyait avoir tout vécu, au point de couver le sentiment de s’être à jamais brûlée les ailes. La vie d’ange écervelé qui fut longtemps la sienne avait finit par la rendre soupçonneuse de tout ce qui touche au plaisir, à savoir, les surprises dissimulées dans les petits riens, ainsi que les agitations dont pouvaient parfois receler le fil de ses jours maintenant anodins. Par une fin d’après-midi pluvieuse d’été, les certitudes de cette soixantenaire encore radieuse furent ébranlées sans remous, telles des cartes à jouer montées en pyramide, sous le souffle rude mais bienfaisant du Joran alors déchaîné. A l’instant même, elle sut que sa vie ne suivrait plus le cours tranquille où, avec l’habitude, elle se condamnait à la surdité devant l’appel de ses sens. Dans la jet set genevoise des années huitante, elle se faisait appeler Princesse Zubianska, descendante du despote de Dobroudja, Balko de Dobritch, dont la lignée fut décimée ou poussée

Lettres d'un jeune prisonnier à la Mousson (Troisième et dernier extrait)

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Prison centrale de douala, cellule n°7, 01 juillet… Mousson, [1] Désolé pour mon silence de ces derniers jours, mais il faut t’avouer que ton silence à toi aussi est incompréhensible, j’écrirais même impoli ; si tu veux tout savoir, c’est la raison pour laquelle j’ai rangé mon crayon / Néanmoins, je me suis dis que ça devait mettre un temps fou pour te parvenir, mon courrier, alors je me suis adouci et je reprends, comme tu le constateras lorsque tu verras l’écart entre cette lettre et la précédente, le commerce avec toi (j’adore ce mot : “ commerce ”) / Tu voudrais savoir ce qui m’est arrivé ces derniers jours ? Réponse : rien, sinon une chose des plus banales ici, il me semble : je me suis mis à boire / Tu sais, je t’ai écris dans la précédente que je n’osais toucher à une verre d’alcool, ni fumer quoi que ce soit / Je tenais bon mes engagements, mais voilà, tu comprends, mes ailes se sont fatiguées de battre dans le vide, et je me suis mis à boire / T

Lettres d'un jeune prisonnier à la Mousson (Deuxième Extrait)

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Prison centrale de douala, cellule n°7, 23 Juin… Mousson, Ici aussi c’est un monde : un monde dans le monde, avec des riches et des pauvres, des hommes et des femmes et des enfants, et... Bon, j’arrête là ! Tu le sais, tout cela / Je veux juste te dire qu’aujourd’hui il y a eut une évasion, des gars du quartier “régime” / Les sentinelles en ont tué un, une rafale semble t-il, mais moi, je n’ai rien entendu ; tu le sais déjà, que j’ai un sommeil de plomb / Les femmes en parlent dans la cour à perdre haleine ; certaines, alanguies peut-être par le souvenir de la douleur de l'enfantement, pensent à la mère du mort : comment peut se sentir une mère quand elle reçoit la nouvelle de la mort de son fils ? a dit l’une d’elles ; pour d'autres, il faut éviter qu'il soit pris en exemple par les adolescents / Ceux-ci, somme toute insouciants, admirent son courage et surtout l'habileté avec laquelle il réussit à enthousiasmer les gens grâce à sa mort / Mais

La tunique du mort [2]

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Edvard Munch, The day after [1] Le père Marigaut-Chéri, qui habitait Morne-Pichevin, un bidonville perché sur les hauteurs vertes de Fort-de-France, rentra chez lui avec, dans son poing fermé, un morceau de la tunique du mort. Aussitôt qu’il poussa la porte brinquebalante de sa case en planches, il se précipita vers son épouse qui veillait depuis fort longtemps une casserole d’eau en ébullition sur le réchaud de pétrole, dernier vestige des divers cadeaux que sa belle-famille, alors bien lotie en ce temps-là, lui avait offert en guise de bienvenue dans leur fratrie nombreuse, maintenant disséminée dans les terres d’Amérique et de Nouvelle Gaule. J’ai ma part de la tunique du mort, cria t-il, exalté, à l’attention de son épouse. Celle-ci piaffa du nerf et cracha sur la terre battue, plancher naturel de cette maison offerte aux caprices de la pluie et du vent. Nous n’avons rien à manger, poursuivit-elle, et cette tunique du mort, même laissée des heures durant dans cette ea