La promise venait d’avoir treize ans (1/4)

L’année de ses treize ans on la jugea mûre pour affronter son destin : être une promise. Selon la loi de la république bantoue de l’Isabankoro, une promise devait offrir son miel à un vieillard au seuil de la tombe, où elle le précipitait ensuite par la grâce de treize coups de poignard assenés au cœur. Ce rituel, communément ap- pelé la traversée, pouvait jeter quelques âmes sensibles dans l’indignation, si ce n’était dans la plus violente des révoltes, mais en raison de leur haut degré de raffinement dans les arts, et de leur maîtrise approfondie de toutes les sciences, la plupart trouvait insensé de laisser œuvrer la nature en ce moment capital de la vie : puisque la conception était le fruit d’un amusement des sens, la mort, elle aussi, se devait vivre comme un jeu, afin que la boucle de l’existence se refermât sur un bonheur.


Après son éducation auprès des anciennes, on la conduisit sous des youyous et des claque- ments de langue dans la maison de l’élu, un citoyen du nom de Mpacko Samelombo, dont le limon n’avait eu l’audace d’enjailler qu’une et une seule fois les quarante ventres de ses épouses. La chambre avait été embellie durant les treize jours précédant le grand soir : au sol dormait un tapis de palmes, dont le vert était réveillé par des aspersions régulières d’eau de chute ; sur les quatre murs de terre glaise, avaient été tendus des tissus d’écorce, riche- ment décorés de fresques relatant la vie de l’élu ; des torches brûlaient d’un feu doux et paresseux, accrochées aux montants du lit en bambou ; et de l’essence d'acondoque reposait dans treize soucoupes en argent, disposées le long du chemin que devait emprunter la promise.


La porte de la chambre lui fut ouverte par treize futures promises, dont la mission était de veiller sur la traversée. Au devant de la pre- mière soucoupe, elle offrit au tapis de palmes son seul et unique vêtement, un cache-sexe surmonté d’une corne d’oryx. Alors l’élu caressa ses lèvres rabougries, et l’invita à le rejoindre sur le lit. Personne, y comprit cet homme pourtant rompu à l’expérience des femmes, personne n’aurait su deviner le sentiment exact de la promise tandis qu’elle approchait la deuxième soucoupe, mais une chose était sûre, des larmes perlaient ses yeux d’un éclat d’agate. Etait-ce le signe d’une joie légitime à l’heure de la traversée, ou était-ce le venin d’une douleur sans commune mesure ? Personne n’aurait su y répondre puisque, la promise avait adopté un silence élogieux.
© Timba Bema, 2008

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