Morts au nom de la lutte contre le deal de rue
La formation des policiers
Jusqu’en 2025, les futurs policiers du Valais, de Vaud et de Genève étaient formés à l’académie de Savatan . Ils y recevaient les mêmes modules d’enseignement. Si la formation de base était en cause, on observerait des noircides au Valais et à Genève, ce qui n’est pas vérifié dans les faits. Pourtant, ces deux cantons ne sont pas épargnés par le deal de rue. La spécificité vaudoise relève donc de facteurs internes en lien avec son approche sécuritaire. En d’autres termes, les choix politiques expliquent les noircides plus élevés que partout ailleurs en Suisse. À ce stade, on est en droit de se demander quelles sont les justifications matérielles de l’approche sécuritaire vaudoise. Le canton serait-il confronté plus que partout ailleurs en Suisse à un boom de la consommation des drogues ?
Le boom de la consommation de drogues
En 2019 , l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies place 4 villes suisses dans son top 10 de la consommation de cocaïne, à savoir Zurich, St-Gall, Genève et Bâle. Le classement est fait sur la base des concentrations mesurées dans les eaux usées. En 2024 , on y retrouve Zurich et Genève. Lausanne n’étant pas mesurée dans le classement SCORE, il faut se référer aux analyses plus exhaustives de la Fedpol . Pour la consommation de MDMA, les valeurs de Lausanne sont similaires à celles de Genève. Tandis que pour le cannabis, Lausanne arrive en tête, talonnée par Genève, tous les deux loin devant Zurich. En ce qui concerne la cocaïne dont la consommation a pratiquement doublé en Suisse de 2012 à 2023, Lausanne se classe en deuxième position juste après Zurich et avant Genève. Confrontées à la même problématique du boom de la consommation des drogues, les réponses de Genève et Zurich ont entrainé moins de morts qu’à Lausanne. Comment ces cantons luttent-ils contre le deal de rue ?
Les approches genevoise et zurichoise
Le canton de Genève est confronté à une consommation forte et croissante de la cocaïne et du crack . Dans les deux cas, les lieux d’achat sont connus. Malgré les voix qui dénoncent, on n’assiste pas à une levée de boucliers de la population comme à Lausanne . Le Conseil d’État a pour sa part déployé une politique transversale fondée sur l’approche fédérale en quatre piliers : prévention, thérapie, réduction des risques et répression. La gestion de la dernière crise du crack en est l’illustration, avec des descentes de police pour éviter la constitution de points de consommation ouverts et réduire les nuisances, ainsi que la forte implication des services sociaux.
Après les scènes ouvertes de la drogue du Platzspitz et de la gare du Letten dans les années 80-90, Zurich a adopté une approche duale s’appuyant sur une présence policière non loin des lieux d’achat et le renforcement des services sociaux. De plus, la collaboration entre les deux organismes est si poussée que la forte consommation de stupéfiants à Zurich ne génère pas des préoccupations particulières ni des médias, de la population et encore moins des autorités politiques .
Dans les deux cantons, l’objectif poursuivi par les autorités est non pas de juguler le trafic, ce qui est impossible, mais d’en éradiquer les effets néfastes dans l’espace public.
Les limites du tout sécuritaire vaudois
Dès 2012, le canton de Vaud a misé sur la répression dans sa lutte contre le deal de rue en stigmatisant les personnes noires. Or, comme le démontre la récente affaire « Happy Mania », les réseaux les plus lucratifs ne sont pas contrôlés par des Noirs. En plus de renforcer la présence policière, Vaud a augmenté le personnel judiciaire et relancé le dispositif STRADA pour accélérer les procès et les renvois. Les résultats ne sont pas satisfaisants puisque la grogne populaire n’a pas cessé de monter, ce qui a poussé le conseiller d’État Venizelos à proposer en 2024 la mise en place d’une task force sur le deal de rue. La conséquence du tout sécuritaire vaudois est la mort de Hervé Mandundu (2016), Lamin Fatty (2017), Mike Ben Peter (2018), Roger Michael « Nzoy » Wilhelm (2021), Michael Kenechukwu Ekemezie (2025) et Marvin Shalom Manzila (2025). Le nombre de noircides plus élevé que partout ailleurs en Suisse doit interpeller sur le nécessaire changement de cap passant par une réforme de la police.
La nécessaire réforme de la police
L’affaire Mike Ben Peter a mis en évidence l’existence de groupes WhatsApp dans lesquels des policiers échangeaient entre autres des contenus racistes et xénophobes, ce qui permettent d’établir le sentiment d’impunité qui sévit au sein du dispositif sécuritaire. La reconnaissance par le syndic de Lausanne Grégoire Junod de l’existence du racisme systémique dans la police doit nécessairement entraîner une réforme en profondeur de la police. Celle-ci devient indispensable après les émeutes des 24 et 25 août derniers qui consacrent la rupture du lien de confiance entre la police et une partie de la population. En effet, les Noirs sont de plus en plus gagnés par l’idée que les systèmes sécuritaire et judiciaire fonctionnent contre eux.
En conclusion
La problématique des drogues doit être abordée également du point de vue du consommateur en se posant la question de savoir pourquoi un pays si riche que la Suisse connaît-il un boom de la consommation de substances psychoactives ? Qu’est-ce que cela dit sur la qualité de vie des Suisses ? Enfin, une approche incluant les services sociaux est indispensable pour lutter contre les drogues qui ne traduisent pas seulement un besoin de récréation, d’évasion, mais un mal-être, un malaise social.
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