Cette histoire de la violence

Voici ce qui s’est passé. Ce qu’on peut dire. Après la marche du 22 septembre, un militant du MRC, Bamiléké, a été personnellement livré aux renseignements généraux par son chef d’équipe Bulu. Ce dernier ne s’est pas contenté de passer un coup de fil comme au temps du Commandement opérationnel. Rappelez-vous, dans les années 2000, il suffisait de composer un numéro spécial, accuser le premier venu d’être un brigand, qu’on envoyait les militaires pour l’arrêter et le liquider sans aucune forme de procès. Non, le chef d’équipe ne s’est pas contenté de passer un coup de fil aux renseignements généraux. Cela devait lui sembler une méthode de lâche. Sûr de poser un acte patriotique, il voulait s’assurer que son collègue serait torturé et condamné par le tribunal militaire à une peine de prison. Puisque marcher au Cameroun vous expose à un jugement au tribunal militaire. Le chef d’équipe a donc embarqué son collègue dans sa voiture et est allé le livrer aux renseignements généraux. Le collègue y est actuellement détenu en toute illégalité sans l’assistance d’un avocat. Le jour où ses tortionnaires se décideront, ils le feront comparaître devant le tribunal militaire. Quant au chef d’équipe, il doit être fier de son acte. Si on lui posait d’aventure la question, il répondrait qu’il a agi par patriotisme, pour sauver la patrie d’un grand danger.
Après les appels à la haine, les intimidations, les pillages de commerces à Sangmélima, la violence tribale est montée d’un cran : Monsieur tout le monde s’érige désormais en justicier. On a vu des Bassa molester un Bamiléké le 22 septembre. Maintenant, c’est un chef d’équipe Bulu qui va livrer son collègue Bamiléké aux renseignements généraux. Cette violence tribale a une histoire qui commence longtemps avant la présidentielle de 2018 qui l’a réactivée. Elle est déployée par le régime Biya pour casser les mouvements sociaux demandant le changement à la tête du pays. Elle doit être comprise dans une stratégie de conservation du pouvoir que j’appelle stratégie du dernier rempart. Elle procède d’une montée aux extrêmes, par l’installation d’une crise plus ou moins maîtrisée, qui vise à instiller dans les esprits le sentiment selon lequel la patrie est en danger à cause d’un ennemi interne et ne peut être sauvée que par le maintien du pouvoir en place. L’une des plus grandes réussites de cette stratégie est d’empêcher la prise de pouvoir de Kamto, malgré sa victoire évidente à la présidentielle de 2018. Toutefois, la désescalade, qui aurait dû clôturer le chapitre de la présidentielle n’a toujours pas lieu, contrairement aux visées du régime. La raison est simple : le pays est en crise successorale, en ce sens qu’il se cherche un nouveau président.
Commentaires