Lettres d'un jeune prisonnier à la Mousson (Deuxième Extrait)


Prison centrale de douala, cellule n°7,
23 Juin…

Mousson,

Ici aussi c’est un monde : un monde dans le monde, avec des riches et des pauvres, des hommes et des femmes et des enfants, et... Bon, j’arrête là ! Tu le sais, tout cela / Je veux juste te dire qu’aujourd’hui il y a eut une évasion, des gars du quartier “régime” / Les sentinelles en ont tué un, une rafale semble t-il, mais moi, je n’ai rien entendu ; tu le sais déjà, que j’ai un sommeil de plomb / Les femmes en parlent dans la cour à perdre haleine ; certaines, alanguies peut-être par le souvenir de la douleur de l'enfantement, pensent à la mère du mort : comment peut se sentir une mère quand elle reçoit la nouvelle de la mort de son fils ? a dit l’une d’elles ; pour d'autres, il faut éviter qu'il soit pris en exemple par les adolescents / Ceux-ci, somme toute insouciants, admirent son courage et surtout l'habileté avec laquelle il réussit à enthousiasmer les gens grâce à sa mort / Mais moi je sais que cette prison est une vraie passoire : les sentinelles dorment la nuit dans leurs miradors ; les matons de l’administration tuent le temps aux cartes et au ludo / J’ai voulu leur dire, à ces adolescents, que cet enthousiasme-là n’est qu’un feu de paille, l’orgueil des lâches, cependant je me suis abstenu, ils ne m’auraient pas écouté, d’ailleurs ils n’écoutent personnes ; certains vont même jusqu'à lui envier, au mort, son sang-froid : ils disent de lui qu’il était le meneur et que, comme tel, il était capable de retourner les situations les plus périlleuses en sa faveur ; sans aucun ressentiment, il était à même de soutirer son dernier sou à un loqueteux ; il était sans pitié et ne pensait d'abord qu’a lui, les autres n’étant juste que des objets avec lesquels il s'amusait pour contenter ses désirs de prince ; il se fichait pas mal des conséquences de ses sournoiseries, des privations supplémentaires auxquelles il les obligeait les malchanceux ayant croisés sa route / Et les adolescents de conclure : c’est la seule leçon à retenir sur cette terre : tout le monde vole tout le monde / En somme, le mort vivait ses petits bonheurs sur la grande peine infligée aux autres /



Prison centrale de douala, cellule n°7,
24 juin…

Mousson,

Un nouveau est arrivé dans ma cellule aujourd’hui, ce qui fait que nous y sommes maintenant quatorze / C’est petit mais je tiens bon ; nous nous couchons à tour de rôle et nous relayons ainsi jusqu’au matin / Mes co-détenus se sont pressés autour de lui pour qu’il leur raconte comment il est arrivé là : c’est un rituel ici / Il a parlé d’un vol à main armée dans un super- marché, ce qui a insinué dans mon esprit un trouble, me faisant douter à la fin de sa sincérité ; il nous a ensuite raconté son interpellation par la foule des aveugles qui le soupçonnait d’être le guetteur de la bande, alors qu’il ne faisait que passer par là ; il s’est appesanti sur sa tentative de fuite, qu’il juge maintenant stupide ; puis nous a relaté les conditions de son arrestation, de la bastonnade publique qui s’en suivit, avant l’arrivée des vigiles du supermarché, qui l’ont conduit au commissariat de police / Il ne comprend pas ce qui lui arrive mais les flics du Central, ceux qui l’ont conduits ici, lui ont dit qu’il devait attendre son tour au tribunal et qu’il sera avisé lorsqu’une date sera fixée / Je l’écou- tais raconter son histoire allongé dans mon lit de cartons : au fait, je t’ai déjà dit qu’ici, il vaudrait mieux ne pas avoir de matelas en mousse à cause des vols ? / Il y avait une modulation bizarre dans sa voix, le nouveau, ce qui me fit douter de sa sincérité : j’espère pour lui que je me trompe dans mon jugement / Je levai alors la tête vers lui, mais rien dans son visage aux grands yeux ronds et immobiles ne trahissait une quelconque duperie : j’espère pour lui que je me trompe / En plus de ce trouble, je me sentis survolé par une humeur vague qui avait tendance à m’abattre : ce sentiment qui s’éprend souvent de moi lorsque je suis couché et que je pense à ma vie qui coule entre mes doigts sans que je ne puisse rien faire pour l’arrêter, ou même en ralentir l’écoulement ; alors, pour m’en défaire, j’invente un optimisme instinctif en contraignant mon esprit à penser que tout finira tôt ou tard par aller mieux / C’est le même élan que j’ai senti chez le nouveau : cet état dans lequel les facultés s’engluent lorsqu’à l’abattement survient cet optimisme instinctif, celui de l’oubli, qui donne le sentiment que tout peut recommencer à zéro / Je me demande d’ailleurs quelle autre idée on peut avoir dans ces moments d’abandon, lorsque malgré tout, les gens continuent d’exister comme ils existent et le monde à tourner comme il tourne ?...

P.s. Je reviens / Pas grand-chose à ajouter, alors je t’écris à bientôt / J’oubliais... j’ai été obligé de m’arrêter à cause du contrôle des matons dans les cellules ; l’évasion d’hier les a rendu nerveux / 


© Timba Bema, Juin 2007


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