Lettre d'un jeune prisonnier à la Mousson (Premier Extrait)

Prison centrale de douala, cellule n°7, 21 Juin…

Mousson,


Tu voudras bien me pardonner cette maniè-re un peu cavalière d’entamer ma lettre mais après avoir mis sous pli celle d’hier il m’a semblé urgent de te donner des précisions sur mon ressenti à propos de la division du temps, plus particulièrement, de la nuit /J’étais sensé t’écrire sur les nuits ici, or il m’a sauté tout à coup aux yeux que je ne me livrais qu’à un exercice de la pensée, une fantaisie où mes mots semblaient des êtres flottants, errants, voguant dans le vide car dénués de toute assise dans la chair des hommes / Ne dit-on pas d’ailleurs que la nuit est l’heure de la mort des mots, je veux dire, de la parole, en général ? / Surtout ne demande pas où je l’ai entendu car je ne saurais te le dire ; ma mémoire de ce côté-ci de la ville sait parfois se montrer bête et faillible / Après mûre réflexion toute cette nuit, voici donc ce que je peux ajouter à mes écrits de la veille / A la différence du jour, la nuit ici n'est pas anodine / Oh, que non ! elle est à la fois concentrationnaire et boulimique, elle aspire tous les esprits dans les méandres de ses veines tailladées par l’éclat terne des étoiles / Dans quelles contrées perdues et inaccessibles de jour entraîne t-elle les dormeurs ? Que leur montre t-elle comme merveilles, dont à peine ils se souviennent au réveil? / Plus que le jour, elle broie les esprits et les vide ensuite de toute résistance, pour en faire les puérils serviteurs de ses desseins, mais quels desseins ? / Elle est essentielle : la porte d'accès la plus vraie au monde, et pourtant, elle est impénétrable ; par à-coups elle explore mon esprit ; comme par une opération de chirurgie, elle dissèque tous les souvenirs que j’ai tenté d'oublier ou refusé de voir, pour les ramener à ma conscience ou du moins, ce qu’il en reste ; elle me fait voir ainsi ma nudité complexe et troublée / Enfin tout se délie et se recompose ; tout est en même temps là ; tout est actuel ; tout est maintenant / Les armatures que représentent les apparences s'effritent comme des blocs de calcaire imbibés d'eau ; mon esprit, ou ce que je crois comme tel, est sans limite, sans peur ou presque, entraîné dans des actions qui l'enferment et le mortifient comme autant de pièges dont je ne peux échapper malgré mon envie prenante de me fuir ; des issues apparaissent devant moi mais se révèlent très vite sans issue ; au fur et à mesure que le jour se manifeste, la nuit m’étreint dans des voyages peu commodes, dans lesquels tout n'est que contentement de mes désirs d'animal, contentement de mes désirs qui n'ont pu être contentés en plein jour : comme quoi, les véritables désirs ne se dévêtissent de leur apparence difformante que dans les mains cotonneuses de l'ombre, et lorsqu’elle les a nourris de leur ration d'inaccessibles, elle les relâche dans l'enfermement de la lumière / Je dois m’arrêter ici ; les bras du sommeil m’enlacent fiévreusement / Pour le moment, ne cherche surtout pas à comprendre mon humeur ; je passe le temps à dormir et à t’écrire, et il semble que dans mon sommeil quelque chose m’éperonne à l’aine pour me rappeler à mon obligation : t’écrire / Fidèle ami, soit certain que tu es la première personne à qui je donnerais des explications, si bien sûr je parviens à voir clair dans le drôle de cirque où me ridicule mon corps /


Prison centrale de douala, cellule n°7, 22 Juin…

Mousson,


Je me réveille à peine / L’heure en ce moment m’est tout à fais inconnue / A l’aine, je ressens encore une petite douleur / Aussi je n’irai pas par quatre chemins, je ne m’étirerai pas en longueur, car voici que la nuit se retire à petits pas, et je dois lui arracher son voile avant qu’elle ne disparaisse définitivement de ma vue / La moiteur de la nuit se dissout, laissant derrière elle une atmosphère dénudée, suspendue dans le temps / La chaleur de la terre commence à s'exfiltrer de ses remparts souterrains, en colonnes haletantes aspirées par les nuages / Elle circule dans les corps, des pieds à la tête ; elle pénètre ces blocs de mur lapés par l’humidité ; elle en ressort fétide, avec l'haleine du matin / Les bouches sont blêmes, recouvertes par de la salive séchée ; certaines sont auréolées d'une tache laiteuse qui s'étale jusqu'au milieu de la joue / Les coins intérieur des yeux sont investis par une sécrétion verdâtre, sous forme de pépites ayant une texture de morve coagulée / Tels sont les résidus de la nuit qui a fuit les corps ; sans eux, personne ne pourrait certifier que peu avant elle régnait prédatrice, et, tout le monde était colonisé par son armée de l’ombre / La nuit s’est retirée / Ma main tremble sous le poids de son voile, mais qu’est-ce qu’il est doux au toucher ! on dirait de la soie de chine / Ami fidèle, mes yeux sont encore fatigués par la nuit / J’y ai vu tant et tant de choses qu’il me faudrait au moins un siècle pour m’en remettre / Ne m’en veux donc pas si je dois mettre un terme à mon témoignage / La voix du rêve m’appelle /

© Timba Bema, Juin 2007

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