Sauver la ville – Jour de vernissage

 

La veille, avant de me mettre au lit, je refis le parcours du Promeneur de la nuit dans Sauver la ville. Au terme de cette traversée fulgurante, je répétai  à mon corps, ce compagnon fidèle : « Tu te lèveras demain à 7 h», jusqu’à m’enfoncer dans mes propres abysses. C’est un rituel auquel je me livre quand j’ai un rendez-vous important : je parle à mon corps, et par bonheur il m’écoute. Je ne rêvai pas. Du moins, je ne me souviens pas d’avoir rêvé. A 7h, mes paupières s’ouvrirent. Je m’étirai pour chasser les restes de sommeil. Je tendis la main vers mon meuble de chevet et m’emparai des Rêveries de Rousseau, le récit poignant d’un homme trop sensible pour supporter la méchanceté de ses semblables, transformés en monstres par l’intérêt. Je lis deux pages et rangeai le livre, non sans méditer sur cet extrait : « Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères.»


Je sortis du lit, allumai la machine à café ainsi que mon ordinateur portable. Le soleil brillait d’une lumière pure dans le froid du matin. Après avoir avalé un ristretto, je me nettoyai la bouche en mâchant du gingembre, puis je m’installai sur le canapé pour écrire une trentaine de minutes. Le dernier chapitre d’un roman choral, celui qui éclaire toute l’histoire en la projetant dans une dimension insoupçonnée. Après quoi je me douchai, m’habillai : il était temps de prendre la route pour le Cinéma Fonction à Genève. 


En voiture, j’écoutai un concert de Les louanges, ce groupe de pop alternative québécois dont la découverte ne relève pas tout à fait du hasard. D’autant plus que le chanteur, Vincent Roberge, est à sa façon un poète qui a étudié la littérature à l’université. Je ne pouvais donc que tomber sous le charme, être transporté par son flow aérien et par le groove de son band. « Couvrez-moi cette bouche des mots que je ne saurais entendre », chante-t-il. Un clin d’œil à la fameuse tirade de Tartuffe dans la pièce de Molière où, s’adressant à Dorine, il lui dit : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées. »


Le Cinéma Fonction est situé dans une aile de la Maison des Arts du Grütli, un centre pluridisciplinaire qui abrite associations, théâtre, festivals, bibliothèques, ateliers d’artistes, studios, restaurant et j’en oublie peut-être. En temps normal, c’est un espace très fréquenté. Mais, à cette heure précoce les couloirs sont plutôt vides. Le concierge, déjà en place, s’ennuyait derrière son comptoir, tandis que j’allais et venais en attendant mon éditrice qui ne tarda pas à se pointer. Sourires. Bises. On pouvait de nouveau s’embrasser, depuis la levée du pass sanitaire. Elle récupéra la clé de la salle auprès du concierge qui visiblement n’avait pas été prévenu, et je l’aidai à ranger les sacs de victuailles sur le bar. 


Son ngoni protégé par une housse aux couleurs de son pays, Sinaly Zon, mon compagnon de route, arriva vers 10h30. On installa la scène. On fit quelques essais satisfaisants. Je m’empressai de lui demander ce qui se passait dans son pays le Burkina Faso : « Roch est un toutou», me dit-il. Roch, c’est l’ancien président renversé par un coup d’état militaire. La salle commença à se remplir. À 11h11, le silence se fit. Alors, je rassemblai dans mes bras ces hommes et ces femmes qui m’avaient gratifié de leur présence, et nous marchâmes sur les pas du Promeneur dans la nuit de Bali, la porte d’entrée de Douala, non sans avoir puisé l’énergie dans la terre : « A nguigna, solo so ! »


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