J'aime ce livre ! Patrice Nganang a lu "Sauver la ville"
D'habitude, quand on parle de poésie, on parle de beauté.
C’est un réflexe. Il me sera difficile de le faire, car ces poèmes sont écrits
dans la langue du Blanc, par un virtuose de la poésie en sa langue. Et Timba a
parsemé son livre de strophes en Duala. Je ne les comprends pas, mais je l'ai
entendu les déclamer. C'est beau, cette poésie qui est chant. Ici elle est
moins vindicative qu'interrogation devant une lapidation, devant un lynchage -
le lynchage d'un Bamiléké. Je reviens sur la bamiphobie. Nul n'a été aussi
lynché dans la littérature camerounaise que le Bamiléké - du fameux Tchenguen
de 'Trois prétendants, un mari' de Guillaume Oyono Mbia, à Kankan et son ‘black
face’ qui fait rire les Africains et effraie les Blancs à cause de sa bêtise
ignorante, à tout ce que vous pouvez imaginer comme sottise qui se raconte sur
les Bamiléké. Un lynchage systématique, jusqu’à une exécution publique - comme
celle que met en scène Timba Bema ici. Moukem est lynché pour avoir volé des
chaises en plastique, pour avoir volé un poison donc. Je dois relire ce poème,
car ce lynchage d'un Bamiléké qui vole un poison doit être analysé, dans la
profondeur du lynchage fondamental du Bamiléké qui a lieu dans la scène
publique camerounaise, devant l'assentiment de tous et de chacun: ils le
méritent, dit-on, à cause de leur commerce avec l'argent. Dans ce pays dont la
monnaie, le Franc CFA, est absolument aux mains des Français, il est très
facile de voir la constitution ici d'un bouc émissaire. Et c'est beau de voir -
voyez, je viens sur la beauté! - Timba se balancer entre la laideur et la
beauté, entre la laideur de l'environnement, de la ville, de Douala, du
quartier Bali, de Lihon, d'une part, et la beauté justement de quelques
personnages - la mère, le pélican-Je, poète au sac à dos, Nathalie, et j'en
passe.
Les Sawa sont, au Cameroun, ceux qui ont le plus lynché les Bamiléké: Elimbi Lobe est la voix de ce lynching quotidien, Bible en main. Ce
doit être une relation d'amour trahi. On ne lynche plus profondément que
quiconque a trahi. Et dans un de ses textes lumineux, Timba a fouillé dans les
archives de sa famille pour retrouver l'histoire de son grand-père, et la trahison
possible de Sekoudjou. Mais ici, c'est son grand-père qui avait été tué,
assassiné, quand Sekoudjou avait survécu. Cette survivance non-méritée est-elle
aux commencements de lapidations répétitives, de ces lynchages répétitifs de Bamiléké qui, historiquement donc ne méritent pas de vivre? Dans le cœur de ce
poème qui est en fait un Grand texte, il y'a un conte: 'cette ville n'est
qu'une intention.' Voilà le verset que je retiens, de ce livre à lire et à
relire, tellement il est fluide. Je l'ai lu en à peine trente minutes, parce
que justement il est scandé. J'imagine que, lors d'une lecture poétique de deux
heures, avec instruments, il puisse être lu, dans la jouissance publique. Mais
alors, ce serait la mise-en-scène d'un questionnement, d'un interrogatoire
public autour de ce corps de Bamiléké lynché, comme il y'en a de nombreux au
Cameroun, et comme, je disais, le Bamiléké lynché l'est, dans la littérature
camerounaise. Je ne sais pas s'il y'a des auteurs camerounais, africains qui
aie pu, avec autant de force articuler un mythe situé entre laideur et beauté
pour nous frapper de stupeur. Eh bien, ce livre dédié à Shakiro, Bamiléké lynchée devant nous tous, nous en donne un, et c'est cela sa beauté.
Vous avez compris, j'aime ce livre.
Concierge de la république
Commentaires