Les milles et unes nuits


 

Moi-ci, Bitam Bitam, le fils de sa mère et le cousin de son père, j’aime la paix. Les mangues. Et les belles-femmes. Ayo mba ndé ! Yé duwé ! Le fessier-là ! Comment résister, dites-moi, comment résister à cette merveille de la nature qu’est la femme ? Par-dessus tout, j’aime la solitude. Je peux rester une semaine dans ma cabane sans voir personne. En vérité, je n’aime pas beaucoup parler. Je préfère écouter. Si possible dans le noir, sans être vu. N’allez surtout pas vous imaginer que je suis un sorcier, que je voyage la nuit, tandis que le monde dort de son sommeil perturbé. Non o, je suis un homme simple comme la kola. C’est-à-dire que j’ai deux faces : celui que je suis et celui qu’on croit que je suis. Bon, la solitude-là hein, c’est juste pour lire. Moi-ci j’aime lire. Je peux même lire du matin au soir, en pissant, en mangeant, au cabinet et même en train de tchouquer une des yoyettes-là à qui je donne mon argent pour qu’elles déposent sur mes draps sales leur innocente beauté. Mais, je jure que je ne suis pas un pervers. Un pédophile. Je dis ça en riant parce que ça me fait penser à Mouanjo Dikoume mon voisin qui affirme en tapant la main sur la poitrine qu’un pédophile c’est celui qui aime les pédés. Même si nos ancêtres épousaient les filles dès que des citrons apparaissaient sur leur poitrine, moi-ci j’attends que ces citrons aient la rondeur des mangues mûres pour y plonger ma bouche avide. Je lis donc beaucoup dans ma maison en karabot à côté du ruisseau que l’on appelle « bertaut », du nom du gouverneur français qui avait lancé un grand chantier pour juguler l’inondation des terres. Jadis, ce bertaut était une rivière fougueuse qui se jetait dans le Wouri ! Aujourd’hui, il est un mince filet d’eau qui accueille nos déchets de toute sorte. Bref, il est à l’image de ce pays ! Le livre que je préfère moi est Les mille et une nuits. N’allez surtout pas dire que je n’aime pas les contes et légendes de nos ancêtres. Pardon-o, j’aime aussi ça ! Mais, Les mille et une nuits-là c’est une autre affaire ! C’est comme Nathalie, ma préférée parmi mes yoyettes. Je ne peux pas me passer d’elle, même si je sais qu’elle mange tout mon argent avec son chaud gars qu’on appelle Elvis à cause du défrisage qu’il a mis sur ses cheveux et des blousons en cuir achetés à la friperie qu’il porte matin, midi et soir, quelles que soient les saisons. Les hommes d’un certain âge comprendront. 

 


Pourquoi Les mille et une nuits et pas Les mille et une bibles du sexe ?


 

Les mille et une nuits constituent la plus grande œuvre de fiction jamais conçue par l’esprit humain. Comme toute grande œuvre, elle n’est pas le produit d’un seul esprit, mais de plusieurs. Les Arabes n’avaient donc pas besoin d’un Tolstoï ou d’un Proust pour écrire une grande œuvre, car ils avaient compris que c’est dans la répétition du même que l’on atteint la perfection. Cette intelligence du perfectionnement interne du texte se retrouve également en Afrique, où le conte, pour citer cet exemple, est envisagé comme une maison que le conteur décore selon son humeur du moment, selon son auditoire, mais aussi et surtout selon la manière dont les autres conteurs l’ont décoré. La leçon primordiale des Mille et une nuits serait donc la suivante : le conteur engage sa vie dans chacun de ses contes.

 

Bon, j’espère que mon sérieux ne vous a pas dérouté. Onong, on ne peut pas raconter si on n’a pas d’autres choix que de raconter. Surtout, ne croyez pas que c’est facile. Même si les gens passent leur temps à raconter leurs vies et celles des autres ici dehors, moi je vous dis qu’ils ne brassent que l’air pour se distraire ou pour satisfaire leurs petits intérêts égoïstes. Raconter c’est autre chose. Ce n’est pas dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, mais ce qu’ils doivent entendre. Absolument entendre. C’est donc risqué de raconter puisque les gens peuvent très mal prendre l’histoire et vous détester à vie, salir votre nom, pousser votre femme, vos enfants et même votre famille à s’éloigner de vous. Ils peuvent aussi vous tuer. Il faut le savoir, je vous le dis, avant de vraiment raconter. 

 


Masomandala ou l’art de bien raconter les histoires


 

Bon, vous voyez que, Bitam Bitam, le fils d’une femme qui est ma mère, moi aussi je sais écrire le grand grand français des universitaires-là, même si mes pieds bancals-ci ne sont jamais entrés dans un amphithéâtre. Pour tout vous dire, je me suis arrêté en classe de 5e. Il n’y avait plus les moyens pour me pousser de l’avant alors j’ai compris que je devais avancer par mes propres moyens. Comment je suis parvenu à maîtriser la langue ? Grâce au Masomandala. Non, ne riez pas. Ce n’est pas grâce à Molière o, grâce à Voltaire o, ou même grâce à Balzac o. Mais, c’est grâce au Masomandala, le recueil de la sagesse duala. Le Masomandala est construit selon les mêmes règles que Les mille et une nuits. C’est même quoi hé ? Aka, calmez-vous d’abord ! C’est simple comme 1 +1 ! Celui qui raconte ne doit jamais lasser celui qui écoute. Vous entendez ça ! Celui qui raconte ne doit jamais lasser celui qui écoute. Quand il sent que la chose va se gâter, qu’on bâille, qu’on se frotte les yeux ou qu’on commence à chercher son ombre à gauche et à droite, il lance seulement une chanson pour réveiller les gens, il glisse une petite blague qui vous déverrouille les côtes. Si Shéhérazade faisait l’erreur de lasser le sultan, celui-ci l’aurait envoyée à la mort. C’est la même chose pour le Masomandala : si le conteur devient fatigant, ennuyeux, les gens partent eux dormir dans leurs maisons et on ne l’autorise plus à raconter lors de la prochaine veillée. Vous imaginez le déshonneur ? Aïe, imaginez la douleur du conteur banni par les siens. Le grand initié de Bonendale Caïn Toukourou disait qu’un certain Quan Misipo de Bomono fut banni des veillées pour avoir fait bâiller l’assistance… Sa réputation le poursuivit jusqu’à Campo où il s’exila. Pour trouver la paix, il embarqua pour Fernando Po où il refit sa vie sous le nom de Fernando Alvarez dit Alvarito de la peña. Le même Caïn Toukourou racontait aussi qu’un conteur de Manehas, au pied du mont Cameroun, du nom d’Epey’a Moudourou fut vendu comme esclave aux Bell qui le revendirent à leur tour à ces chiens de Portugais qui sillonnaient la côte dans leurs bateaux de malheurs. Tout ça donc pourquoi ? Pour dire que Les mille et une nuitsc’est comme le… Masomandala.  

 


Ikoli a bulu iwo na bulu bo d’Isaac Moume Etia 


 

Je pense que je vous ai pris assez de votre temps. Le temps ce n’est pas de l’argent. Mais, il est précieux. Parce que rare. En réalité, la journée ne dure jamais 24 h. Alors je vais vite vous libérer. Avant, je dois encore vous dire que le premier à avoir compris que Les milles et une nuits sont comme le Masomandala était l’écrivain Isaac Moume Etia, que les ancêtres l’accueillent dans le pays de l’au-delà. C’est certainement pour cette raison qu’il a traduit le grand livre des Arabes en sa langue, le Duala. C’est d’ailleurs dans cette langue que je lis désormais les histoires merveilleuses de Shéhérazade. Comme disait le grand initié de Bonendale Caïn Toukourou, les histoires instruisent tout le monde, même les sots.

 

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Monument de la laideur

« Pour qui j’écris vraiment ? » ou l’art de se poser la question

Cette histoire de la violence