Délices d'Orient - Ma nouvelle parue dans Le Courrier de Genève
Avant on m’appelait Samson Ebanga, mais ça, c’était avant. À présent, j’exige qu’on m’appelle Le traditionaliste. Voilà mon nouveau nom. Je le revendique. Je vous préviens, mesdames et messieurs les journalistes, je n’ai plus ma langue dans la poche. Désormais, je parle. Je suis donc devenu un traditionaliste. Oui, je sais que nous sommes dans une époque où on célèbre le mélange, mais permettez-moi vous dire que ce sont des foutaises. Parce que les pays faibles comme les nôtres seront toujours les grands perdants de l’histoire. Alors, qu’ils s’enfoncent leur modernisme-là dans leurs sales trous du cul et meurent de constipation. On ne va quand même pas se laisser essorer comme des serpillères, en plus avec le sourire ! Franchement, seule la tradition peut nous sauver de la décadence. Je vous le dis droit dans les yeux : la première chose à faire est de chasser les Chinois d’ici. Oui oui ! Les Camerounais chez eux, les Chinois chez eux. Oui, fini les passe-droits, les concessions, les marchés publics, les affaires juteuses, les villas avec domestiques, les voitures avec chauffeurs, les safaris, les yachts. On ferme la mine d’or.
Je voulais rester tranquille, me faire tout petit comme une puce, oublier, me faire oublier, parce que le dehors est dangereux et qu’on peut te tuer avec le même dédain qu’on écrase un moustique. Mais, il a fallu que je croise la route de ce gars qu’on appelle Wilson Ezembé. Il est intelligent comme dix philosophes, des diplômes à la pelle, avec mention s’il vous plaît, et après avoir brillé sur les bancs du lycée et de l’université, il s’est retrouvé dans sa chambre ici au quartier à contempler l’éclat des tôles, couché dans son lit crasseux. Avec tout ce qu’il avait appris il réfléchissait, et plus il réfléchissait plus il buvait, la bière hein, pas l’eau, puis un jour que je tapais le jambo avec les copains, il nous a lancé comme ça : « à Akwa il y a un nouveau magasin chinois. Ça s’appelle Délices d’Orient. Tout se vend là-bas à 100 FCFA. » Le riz-o, 100 FCFA. La tomate-o, 100 FCFA. Le poisson-o, 100 FCFA. La viande-o, 100 FCFA. Tout ce qui se mange coûtait 100 FCFA. Vraiment, on ne l’a pas cru. Le gars Francisco a même dit que c’était la sorcellerie. Njoumè Paul a lancé que c’était de la nourriture en plastique. Evina Anderson, qui jouait au sérieux avec ses loupes aux yeux, a balancé que ce sont ses livres de Wolé Soyinka, de Cheick Anta Diop et de Ngugi Wa Thiongo qui lui tournaient la tête. Mais, cela n’a pas arrêté de me remuer. D’autant plus qu’on m’avait plumé mes derniers 500 FCFA.
Quand je suis rentré à la maison, mon oncle Firmin, celui-là qui nous nourrissaient avec son salaire d’agent de sécurité, courrait derrière ma mère, sa grande sœur donc, avec son bangala dans la main, disant : « viens sucer le bonbon sucré. » Oui, l’oncle Firmin avait perdu la tête. Les mauvaises langues affirmeront qu’un sorcier lui avait promis une fortune immense s’il faisait la chose avec sa sœur, mais nous on savait qu’il avait disjoncté à cause de la pression familiale. Bref, je me retrouvai dans l’obligation de subvenir aux besoins de ma mère, de mes tantes Ebenyè, Kossi et Mouyemba et de leurs 12 enfants qui n’ont jamais vu, même pas en rêves, les visages de leurs pères.
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