Liberté, j’appelle ton nom

1472. Un bateau portugais remonta les eaux du fleuve. Comme par hasard (mais il y a-t-il vraiment de hasard ?) c’était la saison des mbeatoe. Ils sortaient en nombre des profondeurs de la mangrove pour remonter le fleuve, sautillant à la surface des eaux. Pour les riverains, ils étaient une bénédiction. Une source de joie. D’effusion. Mbeatoe é ! On célèbre le prodige de la vie. L’éternel retour. On célèbre aussi le mets sacré. Le message. La promesse. Ainsi est né dans une langue autre le nom du pays. Ô vous qui racontez les histoires, n’oubliez jamais que le nom du pays, le pays, est synonyme de bonheur, de communion avec les ancêtres et surtout de promesse.


Le Cameroun est une promesse. Mais, il faut se dire la vérité en face. Car, seule la vérité est bonne pour celui qui veut transformer son existence, c’est-à-dire la conduire au cœur de son accomplissement. Comme le métal est purifié par le feu. L’esprit est purifié par la vérité. Nous avons perdu notre guerre d’indépendance alors que :

1) nous étions chez nous, sur des territoires que nous avions certes arrachés aux pygmées, des territoires où nous nous étions réfugiés pour fuir la traite négrière, en somme pour être libres, et que par la force des choses et notre intelligence nous avons réussi à domestiquer, à façonner selon notre bon vouloir

2) nous étions plus nombreux que les colons, beaucoup plus nombreux que ceux qui nous tenaient en laisse, beaucoup mieux adaptés qu’eux à ces régions chaudes et humides, que la fièvre jaune protégeait comme un enclos protège une concession.


Ne parlez surtout pas de l’effet dissuasif des armes à feu, de la supériorité militaire. Qui s’est retrouvé dans un mouvement de foule sait que la peur n’est pas l’ombre de celui qui est déterminé à transformer son destin. La raison de cette défaite est simple. Très simple. On peut même dire banale. Nous ne nous sommes pas assez mobilisés pour soutenir ceux qui avaient dit NON à la France. La bonne mobilisation, la mobilisation efficace, c’est celle qui produit la victoire. Car c’est dans celle-ci que se fonde la perspective d’un avenir radieux. Dans le cas contraire, on parle de tentative ratée. De sursaut vite écrasé. Dans les coups et dans le sang. Parfois dans beaucoup de sang. Des mares, des étangs, des rivières de sang. L’histoire est jonchée de soulèvements écrasés dans la violence, mais la même histoire nous apprend que ceux-ci ne hantent pas la mémoire des peuples. On ne cultive pas la défaite, sa propre défaite, sinon on se condamne volontairement à la rancœur et à l’humiliation. Au contraire, on cultive les victoires, puisque l’esprit a compris l’évidence selon laquelle la victoire appelle la victoire.


Nous avons assisté en spectateurs désintéressés sinon désabusés à l’élimination systématique de nos leaders, à l’extinction du flambeau de l’espoir, à la dispersion de la promesse, comme nous assistons aujourd’hui, sans rien faire, sans rien dire, et parfois même en nous réjouissant, à la barbarie qui s’abat contre ceux qui se lèvent au nom de la liberté et celui de la justice. Pourtant, le bateau sombre. Notre pays sombre. Le Cameroun sombre. Le pays de la promesse sombre dans les eaux. Le pays des mbeatoe, de la communion avec les ancêtres sombre dans l’oubli de sa propre personne. Cette année encore, les mbeatoe sont sortis comme en 1472 pour renouveler l’alliance avec les hommes, pour leur rappeler que la terre qui abrite leurs vies est celle de la promesse, la promesse éternelle du bonheur. Mais que diable attendons-nous pour surgir dans nos propres existences comme citoyens et non plus des indigènes réduits à circuler dans leur enclos tribal ? Qu’attendons-nous pour infléchir le cours du destin lugubre qui nous a été façonné ? Qu’attendons-nous pour sortir de la tyrannie et de son langage familier que nous nommons tribalisme ?


Le bateau sombre, le bateau sombre, hurle la vigie. La vigie ici est le p(r)o(ph)ète. Qui longtemps à l’avance a perçu les convulsions de la coque. Le bateau sombre, sombre, sombre. Pourtant, à tous les étages, on danse, on boit, on rit et on mange. On mange des gâteaux, montagnes de crème et de massepain. On boit du champagne. On danse la rumba congolaise et la musique naïja. Est-ce en 2550 que nous comprendrons enfin que la citoyenneté nous appelle, que l’indigène doit mourir pour que naisse le citoyen ? Voulons-nous que le cycle des lamentations se prolonge encore d’un, de deux, de trois, de quatre, de cinq siècles ? Notre destin nous appartient. Voilà la vérité. La victoire est à la portée de notre souffle, de nos mains, de nos pieds. Écrivons la liberté sur la devanture de nos maisons, dans nos rues, sur nos poitrines gonflées et nos dos relevés. Oui, notre avenir ne se décidera nulle part que dans le périmètre carré de notre chair. Poste centrale. Cœur des cœurs. Centre névralgique. Poste centrale. 22 septembre 2020. Cameroun ! Cameroun ! Cameroun ! Lève-toi pour chasser le tyran ! Lève-toi pour entrer de pleins pieds dans la citoyenneté. Liberté, je t’appelle au nom de mon peuple. Descends ! Descends ! Descends sur lui ! Descends !

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