Le cas 37


En Mai 2014 j’étais recruté comme psychologue associé dans l’unité de recherche comportementale dirigée par le professeur Francis Beckett qui était mondialement reconnu pour ses travaux sur le mensonge. En résumé, la thèse du professeur Beckett était que le mensonge est un pur mécanisme socialisation. Je compulsais donc les entretiens qu’il avait effectués avec d’une centaine de sujets lorsque je tombai sur un cas saisissant, celui du sujet 37. 

Cas 37 : Teddy Pablito, le menteur génial 


Je m’appelle Teddy Pablito, et je suis, selon les dires de mon taré de père, un descendant du roi Alphonse Ier qui régna sur le Congo au temps de l’esclavage. Professeur, tu vois, des deux choses que je viens de te dire toutes les deux sont fausses. C’est comme ça, dès que j’ouvre la bouche un torrent irréprescible de mensonges déferlent vers l’extérieur. Je m’explique. Primo je ne m’appelle pas vraiment Teddy Pablito mais Anasthase Kikumba. Seulement tu me vois me présenter à quelqu’un et dire : salut je m’appelle Anasthase Kikumba ? Un nom de la poisse, un nom de la loose mortelle ! je te dis ! alors pour me sortir de cette loose qui m’assassine depuis ma naissance, je me suis inventé un nom, j’ai inventé le nom qui correspond à ce que je suis, un faux nom quoi, mais à la longue je me suis attaché à ce nom, ce nom que je sens jusque dans mes tripes, et serait inadmissible, que dis-je, inconcevable, que l’on m’appelle autrement. Deuxio je ne viens pas du Congo. Ce sont mon père et ma mère qui viennent du Congo. Moi je suis né ici, à Lausanne. Je n’ai connu pour autre pays que Lausanne. Mais tu imagines que je dise à quelqu’un en me présentant je suis un suisse de Lausanne ? Immédiatement je m’entendre demander Oui, mais tu viens d’où exactement ? Comme si l’origine de mes parents primait sur tout le reste pour me définir. Alors pour éviter de me prendre le chou tout le temps, parce que c’est franchement barbant de devoir toujours se justifier, alors je dis que je viens du Congo, que je suis fier d’être congolais malgré ça tourne mal là-bas, et  je me tue à convaincre ces connards-là que les congolais ne sont pas si différents des autres, qu’ils ont des yeux, une bouche, des pieds, bref qu’ils chient et pissent comme tout un chacun ici-bas. C’est simple ! Tout le monde a une idée du Congo qui symbolise toute l’Afrique. Alors pour faire simple je dis que je viens du Congo. Mais qu’est-ce qui qu’en essayant de dire la vérité pour corriger mes deux premiers mensonges je n’ai pas continué de mentir, je ne suis pas en mesure de vous répondre Professeur parce que, quand ça devient trop compliqué là j’ai mois même de la peine à me suivre. Voilà pour ma présentation.

J’ai accepté de participer à votre interview parce que je dois vous avouer qu’à force d’inventer toutes ces histoires, de vivre toutes ces vies, je ne sais plus moi-même qui je suis. J’espère qu’à la fin de cette émission je me comprendrai peut-être. Même j’ai des sérieux sur la question puisque, il n’y a pas loin de trois mois, j’ai suivi une thérapie au cours de laquelle je n’étais sensé que dire la vérité, mais je n’ai pas résisté à affubler, à raconter des histoires à la psychanalyste, une dame sympathique au demeurant que j’ai baisé sur le divan. Je  me dis que peut-être que votre émission me permettra de me comprendre, ou mettra sur ma route des gens qui pourront m’aider à m’en sortir.

Je ne sais pas exactement quand mes affabulations ont commencé. Tout ce que je peux vous dire c’est que enfant j’ai toujours eu le sentiment d’en avoir moins que les autres. Mes copains avaient tous les nouveaux jouets, les nouveaux gadgets, les nouveaux joujous à la mode et moi, lorsque je serrais ma mère ou mon père pour qu’ils m’en offrent aussi, je m’entendais dire que je n’avais pas besoin de toutes ces choses-là qui pourrissaient gâtaient le cerveau des autres enfants, et quand j’osais me plaindre mon père me rétorquais de sa voix de stentor que je persistai il m’enverrai au pays voir comment les enfants de mon âge vivent avec moins que rien et ont toujours le sourire accroché à leurs jours, contrairement à ceux d’ici qui ont toujours l’air insatisfait malgré l’abondance dans laquelle ils vivent. A cela il faut aussi ajouter le fait que j’étais super timide, et que je souffrais sans mot dire les quolibets des autres gamins. Donc ma réaction naturelle avait été de me replier sur moi-même et de me créer des mondes imaginaires où je devenais le super héros. J’ai passé une enfance à encaisser les coups dans la réalité et à me venger dans l’imaginaire. Mais le véritable déclic s’est fait à l’adolescence, grâce à cette pute de Mélanie Sauvalle, une blondasse maigre comme un coton tige et sans aucune féminité qui distribuait son cul à tout le monde au collège, lorsque je l’ai approché la première fois, lui racontant ma vie comme elle était, elle m’a botté en touche en disant que j’étais un nase. Mais quand je suis revenu a deuxième fois, lui mentant sur sa beauté de sirène, sur les gadgets qui abondaient dans ma chambre, de mes dernières vacances à Beverly Hills où j’ai rencontré XXX dans un sex shop, elle a fondu sur moi d’un coup, j’étais devenu son héros, son acteur préféré de film d’action, et je l’ai prise dans les toilettes du collège en l’insultant de tous les noms de pute et elle en revoulait encore. Là, j’ai compris que le mensonge serait le seul moyen pour de vivre une vie. Il ne me servait à rien de m’évertuer à vivre dans un monde puretés mais je devais mettre les mains dans le cambouis du monde et mentir, je venais de faire la première grande découverte qui allait à tout jamais orienter le sens de ma vie, à savoir que le monde, les relations, sont toutes basées sur le mensonge, un théatre à ciel ouvert ou chacun joue un rôle qu’il s’est assigné ou que les autres l’ont assigné, et moi je décidai de m’assigner le rôle de Teddy Pablito.

Je ne me définirais pas comme un menteur mais comme quelqu’un qui dit aux gens ce qu’ils veulent entendre, nuance.

(c) Timba Bema, 2014

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