Dans le souffle du héros de tous les conteurs

A peine le héros de tous les conteurs avait-il dit sa prophétie, que déjà il filait en direction du portail, suivit par la horde de ses admirateurs qui, loin d’être franchement gagnés par l’effroi, étaient plutôt intéressés de connaitre la suite de ses galipettes avec le superbe mannequin de vingt-sept ans d’âge. Entretemps j’avais exfiltré Jeilo vers la pergola qui, du fait de son relatif isolement par rapport au reste du jardin, était le lieu propice à l’épanchement des cœurs. La fille Elimbi m’avait suivie contre sa volonté qui, en ces secondes-là, était naturellement de connaitre la suite des aventures de Telly Bapès. Aussi, j’avais dû lui marteler que je devais l’entretenir d’un sujet important. En cours de trajet je m’étais attelée à mettre de l’ordre dans mes pensées, afin de trouver la meilleure façon d’aborder la délicate question de l’arrestation de son père. Au moment de franchir le seuil de la pergola, qui avait la forme d’une arche en fer forgé serpentée de deux rosiers se rejoignant en son sommet, j’étais tout à fait certaine de la conduite à tenir. Or, une fois installées, l’une à côté de l’autre, sur les coussins moelleux des chaises longues, nous avions été comme ensorcelées par le chantonnement de l’eau qui jaillissait en une courbe régulière des lèvres pulpeuses d’une sirène sculptée dans du bronze, et tombait sur la mare recouvrant à peine sa queue. La femme en moi se sentait comme enfermée dans une cage, un bâillon sur la bouche ; elle avait beau geindre, gigoter dans tous les sens comme une forcenée au pic de sa crise ; à secouer les lourds barreaux, à s’abattre dessus avec une force inouïe, ses efforts pour en sortir, et donc pour s’exprimer étaient vains. Au terme d’une débauche extraordinaire d’énergie elle s’était sentie vidée de sa substance. Alors elle s’était assise à même le sol de sa cage, qui était recouvert d’une centaine d’exemplaires de la page du journal, où était annoncée l’arrestation de monsieur Polycarpe Abah. Je sentais peser sur mes épaules le regard réprobateur de la chatte en moi. A la fin, que cherches-tu à comprendre ? lui avait-elle dit, à la femme en moi. Il n’y a rien de spécifique à l’arrestation de monsieur Elimbi, rien qui la distinguerait des autres arrestations de personnalités. Ils ont dû, les gens du renseignement, atterrir à son domicile dans un banal taxi de ville ; ils se sont mis pour l’occasion dans la peau et dans les vêtements de monsieur tout-le-monde ; au premier abord ils sont apparus doux et inoffensifs au gardien, peut-être des fêtards ayant perdu leur chemin dans la nuit, a-t-il pensé en les voyant approcher du portail ; mais très vite ils vont se révéler être investis du pouvoir exceptionnel qu’une arme à feu procure à son détenteur, le pouvoir de disposer selon son bon vouloir de la liberté d’autrui ; c’est justement grâce à ce pouvoir qu’ils ont tiré monsieur Elimbi de son sommeil, l’ont persuadé de les suivre dans le calme, lui laissant tout de même le temps de prendre une douche, de se raser, de brosser ses dents, d’enfiler un costume, de se parfumer, de prendre des affaires de rechange, le nécessaire pour la toilette, de la lecture, beaucoup de lecture, lui avaient-ils conseillé, et de dire adieu à son épouse.

(c) Timba Bema, 2015

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