L'hospice du bonheur (1/4)


[1] Juillet. Dix heures. Il pleuvait à verse. L’envie était de se couler dans son lit et de tutoyer l’intimité de son autre. Des heures et des heures. Mais on avait dû y renoncer afin de visiter un appartement dont la mise en location venait de paraître dans le grand quotidien de la région. De plus, le propriétaire s’était montré très enthousiaste de nous recevoir, puisqu’il se trouvait à cette heure dans l’appartement où il effectuait quelques menus travaux d’électricité. Il nous avait donc conseillé de passer le voir au plus vite, car nous étions les premiers à nous montrer intéressés par son bien. Bien sûr, avait-il tenu à préciser, sa décision de rencontrer d’autres personnes allait dépendre de ce que nous y trouverions ou pas les qualités que nous cherchions pour notre future demeure. En d’autres termes la priorité de le louer nous reviendrait si nous la visitions les premiers son appartement qui était situé dans un quartier cossu de la périphérie nord, au premier étage d’une villa avec jardin, kiosque et piscine. On était exalté par la perspective d’en apprécier les attraits incontestables. Et malgré la pluie battante on y avait foncé en voiture. Aussitôt après avoir raccroché le téléphone.

[2] On trouva la villa sans peine. On venait de refermer le portillon quand on fut tout à coup assailli par une odeur rebutante. On chemina à travers le jardin dans une arrière-cour où, à notre grande stupéfaction, on tomba sur un vieillard aux yeux rouges de larmes, assis sur une chaise longue glissée sous un parasol, les bras repliés derrière la nuque comme si il se fut trouvé sous un agréable soleil d’été. On pensa d’abord qu’il devait s’agir du propriétaire. Alors on s’approcha de lui avec le sourire et on lui tendit la main. Il nous tourna aussitôt le dos et se mit à pousser des cris de forcené. On dut donc en venir à la conclusion que le vieillard était dérangé. Il devait être le patriarche de la famille qui l’avait gardé là au lieu de l’envoyer croupir à l’hospice. On courut donc s’abriter sous le porche, guettant impatiemment la venue du propriétaire. On essaya de le téléphoner sur son portable mais on tomba sur le répondeur automatique. Avait-il été contraint à la dernière minute de surseoir à notre rendez-vous  sans daigner nous en prévenir ? Ou alors avait-il été se procurer quelque pièce manquante dans une quincaillerie du coin, auquel cas il rentrerait bientôt ? 

© Timba Bema, 2010

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