Comme on sauve un esprit de lui-même (1/3)

alors que l'esprit était dans sa quinzaine année, la mère de celui-ci s’inquiéta qu’il n’eût encore pas connu les joies et les peines de l'amour... ce n’était pas, à vrai dire, le fait qu’il fût sans copine qui la travaillait, mais tout autre chose à savoir, sa désinvolture face à la question... lorsqu’elle lui en parlait, très souvent d’ailleurs, il rétorquait chaque fois, dans la précipitation, que les femmes ne sont pas importantes dans la vie d’un esprit... une fois, au cours du repas du soir, assis tous les deux dans la salle à manger, elle insista de connaître les raisons de son désintérêt pour la gente du sexe opposé, mais il piqua une telle crise de nerfs qu’il l’engueula pendant près d’un quart d’heure, et il alla même jusqu’à frapper des poings sur la table avec une force telle, que le bouillon de maquereau dans leurs assiettes se déversa sur la nappe, et ensuite il se déroba dans sa chambre où il s’enferma à clé... la mère tomba aussitôt dans la déprime et passa une nuit blanche à regarder la course des nuages à travers la fenêtre de la cuisine... mais le lendemain elle attribua l'étrange comportement de son fils à la folie de l’âge, et décida de lui laisser encore quelques années pour s'accommoder de l'ordre des choses qui veut qu'un esprit mâle s'éprenne d'un esprit femelle et entretienne avec elle un verger dont eux seuls sauraient appréciés les fruits... or, l'attente de la mère dura une vingtaine années au terme desquelles elle se décida de pourvoir au bonheur de son fils... pour ce faire elle convia dans sa maison une jeunette qui avait la démarche d'une gazelle et des yeux de biche, signes qu'elle n'avait encore pas noué avec un esprit mâle... elle l'installa dans le séjour, lui servit le jus de corossol et les galettes de manioc au sucre qu’elle avait préparés dans la matinée, et une fois celle-ci à son aise, elle donna le bain à son fils, le revêtit de ses plus vêtements, de ses plus beaux bijoux, et le conduisit aux côtés de sa promise...

© Timba Bema, 2010

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