Le Pardon (1/9)

« Tu seras seul
Parmi les débris de nacre et les diamants carbonisés
Les perles mortes
Seul parmi les soies qui auront été des robes vidées à
ton approche
Parmi les sillages de méduses enfuies quand ton regard
s’est levé
Seules peut-être les chevelures ne fuiront pas »

Robert Desnos, Corps et biens.

Le treize Janvier deux mille trois à quinze heures précises, j’ai entendu la porte d’entrée de miss Anémone Parker, dont l’appartement se situe pile en face du mien, s’ouvrir et se refermer aussitôt à clef, des pas ont retenti dans l’escalier jusqu’à complètement disparaître, et je suis retournée à la cuisine où je me faisais couler un café dans ma nouvelle machine. Peu après, par curiosité ou par présence d’esprit, je ne sais désormais plus, j’ai penché la tête par-delà la fenêtre donnant sur la rue, et c’est alors que j’ai vu miss Anémone Parker s’effondrer sur l’asphalte. Elle venait à peine de refermer la porte de l’immeuble et marchait rejoindre le taxi qui l’attendait de l’autre côté de la rue quand, en traversant, elle s’est tout à coup effondrée. Chose étonnante, le taxi a tout de suite démarré, les passants, certes peu nombreux, montraient une mine horrifiée ou dépitée à la vue de son corps étalé sans un mouvement et passaient leur chemin, les voitures évitaient soigneusement d’enfoncer le corps, quitte à empiéter de leurs roues sur le trottoir. Je me suis donc trouvée face à un dilemme : devais-je téléphoner aux Urgences ou faire l’indifférente comme les autres ? Heureusement je n’eus pas longtemps à hésiter car, la disparition de miss Anémone Parker aurait rendu mes jours d’une tristesse affolante car, en dehors d’elle, je n’avais plus personne d’autre à épier. Certes elle ne m’avait jamais adressée la parole, avec ses airs d’aristocrate qui jamais ne pensait à échanger un mot avec sa voisine de palier, une espèce de parvenue devait-elle penser de moi, or dans le fond je ne crois pas être une parvenue, j’ai étudié les langues africaines et les ai enseignées à la School of Oriental and African Studies, je suis restée mariée avec un Ougandais pendant plus de quinze ans, j’ai voyagé dans nombreux pays d’Afrique, mais, aux yeux de ma défunte voisine, miss Anémone Parker, je ne devais être qu’une espèce de parvenue dont la présence dans cet immeuble cossu et chic de Kensington était un vrai scandale, un vrai de vrai, par rapport à quoi le silence est une marque d’éloquence.

© Timba Bema, 2007

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