Après la fugue, le commissariat (2/3)

Yoann Bourgeois, L'art de la fugue © J-P Clatot

Après, un autre jour comme ça que je rentre de l’école, il recommence au début début son même cinéma. Il veut que je le pince très fort les poils de son gros ventre, que je le pince très fort jusqu’à ce qu’il pleure, et il me dit alors, à moi aussi, toi aussi tu te dois de pleurer, comme quand si tu avais mal à quelque part. Mais monsieur le Commissaire je te jure la vérité que... Aïe, ne me battez plus monsieur le Commissaire ! C’est ma langue qui a glissé seulement contre mon gré ! Je voulais dire vous mais je ne sais pas pourquoi à la dernière minute c’est le tu qui est sorti de ma bouche ! Oui, monsieur le Commissaire, bien sûr que je vous du respect ! Oui, monsieur le Commissaire, je poursuis, attendez un peu seulement ! Je disais donc que monsieur le Commissaire les pleurs ne sortent même pas de mes yeux malgré que de toutes mes forces j’essaie de faire couler des larmes en appuyant sur les muscles de mon visage et en disant à moi-même, pleure donc, mais pleure donc. Le Tonton, lui, il ne voit pas comme ça, le Tonton, il dit, lui, le Tonton, que je me dois de pleurer toutes les larmes de mon corps, il crie, il crie, il crie, tu dois, ma fille, pleurer, toutes, les, larmes, de, ton, corps, puis il se tait, comme si il est content de moi, parce que à la fin j’ai commencé à pleurer les larmes de mon corps. Est-ce que je suis sûre qu’il était content ? Vous me demandez, monsieur le Commissaire, si je suis sûre qu’il était content ? Eh beh, monsieur le Commissaire, la vérité est que je ne sais plus. Et puis après ? Vous voulez savoir ce qui se passe après ? Après, je ne sais très bien mais après seulement je sais qu’il me donne un gros paquet de bonbons sucettes que je suce et que je suce après, parce que moi monsieur le Commissaire j’aime trop beaucoup les choses qui sont sucrées comme les bonbons sucettes. Aïe monsieur le Commissaire ne me battez plus ! Je n’essaie pas de vous cacher la vérité monsieur le Commissaire, je vais bien sûr tout vous dire monsieur le Commissaire ! Après ? Ce qui s’est passé après ? Après quand ? Quand j’ai terminé de sucer les bonbons sucettes ? Ou après après longtemps après le jour-là où Tonton m’a donné les bonbons sucettes à sucer ? Après Après ? Ok, je vais donc vous dire que après après moi je n’aime pas la façon dont comment Tonton me regarde, moi. Après après, un jour là comme ça comme l’autre jour que moi-même je rentrais là moi de l’école, je marche sur le goudron avec mes camarades et je commence à me dire que moi-même je ne veux plus rentrer chez nous, et je dis alors à mes camarades qui marchent avec moi sur le goudron que je vais aller pisser dans les herbes à côté de la route. Après, je pars, sur le chemin de fer, la nuit vient déjà, et je rencontre un lépreux qui dort devant une pharmacie, il me dit que le patron de la pharmacie lui a dit de surveiller sa pharmacie et que c’est pour ça qu’il dort là comme ça, mais que comme lui il a un cœur, il a pitié des petits enfants comme moi, il ne peut pas me laisser marcher partout partout dans la ville et que je dois venir dormir à côté de lui, sous sa cabane en carton, sous sa couverture comme les sacs de marché qu’on a ouvert et qu’on a cousu entre eux, et que comme ça il va me protéger parce que le dehors est mauvais. Oh, monsieur le Commissaire, j’ai donc accepté mais je ne savais pas moi que je venais seulement d’entrer dans la cabane en carton d’un chef bandit. Oui, monsieur le Commissaire, l’homme-là qui était comme un mendiant était en vérité le vrai chef bandit. Il m’a dit comme ça là que, toi la petite fille-ci, avec tes petites mamelles-là comme des mandarines, si tu ne donnes pas la chose-là que la femme dois donner à l’homme, tu vas sauras ici-même ce que tu dois sauras. Aïe, monsieur le Commissaire ne me battez pas, c’est donc comme ça là que je me suis retrouvée dans le gang-là que vos agents que voici ont arrêté ce matin-même.

© Timba Bema, 2006

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