Mercredi ou Le temps suspendu (2/12)


Ma mère, comme à son habitude, se planquait derrière le mur de la cuisine, allongée dans son divan de fortune. Un quelconque passant, ou même une passante, qui à cette heure-là aurait traversé notre cour, parce qu’elle se trouvait sur le chemin le plus court menant de son lieu de départ à sa destination, se serait certainement dit à part soi : « cette bonne femme fait une sieste bien méritée. » Il n’aurait jamais soupçonné que « cette bonne femme », dont le sombrero en raphia reposait négligemment sur le visage, fixait en réalité la porte d’entrée de sa maison, où elle s’attendait à voir se dessiner le corps pantelant de son fils, appelé dehors par ses camarades, enfin venus le chercher pour aller jouer. Toutefois, l’attente de ma mère était infiniment longue car, mes camarades ne se pointaient jamais à la maison avant deux heures et demie. Entretemps, ils devaient encore trouver le moyen de s’arracher de l’injonction paternelle ou maternelle qui les avait envoyé à la sieste, ou les avait assigné à une de ces nombreuses tâches ménagères dont l’exclusivité revient aux enfants, comme puiser de l’eau, balayer la cour, étaler le linge au soleil, cirer les chaussures du père, faire la vaisselle, etc. Ensuite, ils devaient encore faire le gué dans les touffes de vernonias en face de notre portail, jusqu’à ce que la rue fût débarrassée de ces passants téméraires qui bravaient la colère du soleil, des passants parmi lesquels auraient pu se retrouver quelque connaissance de leurs parents, qui les aurait alors prit par l’oreille et les aurait reconduit manu militari à la maison. Quand, enfin, la rue avait refoulé dans un coin d’ombre ses derniers passants, notre mentor venait s’assurer, grâce à coup d’œil jeté en vitesse à travers la rouille du portail, qu’aucune menace adulte ne paressait dans notre cour. Ah, quel garçon imbu de lui-même ! Je lui avais pourtant dit et redit : « ma mère se cache toujours derrière la cuisine. » Je lui avais même recommandé de lancer plutôt des cailloux sur notre toit, suite à quoi je me serais débrouillé pour tromper la vigilance de ma gardienne de mère. Or, ce dernier dédaignait mes précieuses mises en garde, on aurait même dit qu’il trouvait un certain plaisir à se faire surprendre tous les mercredis. Bref, quand la route menant au perron lui semblait sûre, il signalait aux plus grands de la bande de le suivre à l’intérieur, et laissait au cadet la tache délicate d’assurer leurs arrières, avec pour consigne de siffloter Frères Jacques, si d’aventure un passant s’hasardait dans notre cour.


© Timba Bema, 2007

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