Mercredi ou Le temps suspendu (1/12)

Le seul après-midi de la semaine que je prédis-posais aux jeux était celui du mercredi, pour cause de relâche à l’école. Dès mon retour à la maison je me précipitais dans notre cabine extérieure de douche, pour laver ma peau de la fine pellicule de sueur qui y avait été floquée le long de la matinée par la chaleur, la poussière et le vent, certes rare ; je m’astiquais avec un écrin confectionné par ma mère en effilant des sacs plastique ; je frottais jusqu’à ce que la sensation d'enflammer me soit devenue insup-portable ; je me rinçais abondamment à l’eau fraîche, presque froide, de notre puits ; et roulé dans ma serviette gorgée de soleil je me sentais renaître. Déjà, en cours de trajet, mes aisselles laissaient échapper une désagréable odeur poi-vrée ; j’avais le sentiment atroce de pas m’être lavé plusieurs jours d’affilés ; or mon dernier bain remontait au matin-même. Par moments j’avais l’impression d’être prisonnier d’une po-che de gêne, de ressembler à mes camarades dont les corps tout blêmes étaient déguisés de haillons d'une couleur ocre inaltérable, d’ex-haler comme eux ce mélange si particulier de sueur séchée depuis quelques jours, de som-meil, de margarine et de pets. On se quittait devant notre portail sans un mot d’au revoir, mais je savais qu’ils ne manqueraient pas de venir me chercher en début d’après-midi pour aller jouer. Certes, j’appréciais de m’oublier en leur compagnie, mais pour rien au monde je ne voulais leur ressembler. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me précipitais dans la cabine de douche dès le retour d’école, et y retournait avec bonheur quand nos jeux étaient priés de s’interrompre à cause de la tombée de la nuit, ou d'une menace de punition d'un de nos parents, venue jusqu’à nous par je ne sais quel moyen. Le bain, en quelque sorte, était chez moi un acte religieux : une épuration de fond en comble. A la suite je m'enduisais d'huile d'arachide, et courrais m’installer dans un coin d’ombre, de préférence sous le manguier cen-tenaire de notre cour, où j’exécutais en vitesse mes trop nombreux devoirs de classe. Ceux-ci terminés, je mangeais sur une natte avec ma mère, et elle m’envoyait faire la sieste. Mais, impatient que j'étais d’aller jouer, mes pau-pières se déclaraient l'une et l'autre la guerre ; mon cœur s'exaltait de la fuite incontrôlable du temps ; je guettais à travers les planches de ma chambre les gens de passage ; tout bruit de pas, tout « bonjour Madame ! », tout murmure en provenance du dehors, m’annonçaient l’arrivée imminente de mes camarades.
© Timba Bema, 2007

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