Carnet de Rêves (Rêve n°1032)


Je suis dans une vaste salle, humide... rien ne se passe, sinon que je suis dans la vaste salle... je ne sais même pas si j’attends quelque chose... je suis là : là... tout à coup une voix que l’écho fait provenir de tout coin me dit : entre !... entre donc mon fils !... je tourne sur place, hébété... autour de moi il y a des chaises vides... un peu plus loin, sur ma droite, une armoire de chambre au-dessus de laquelle se tient prêt à bondir un chat gris aux pupilles acajou... avance droit devant toi ! reprend la voix... n’aie pas peur, ce n’est qu’un postiche !... je longe alors d’un pas prudent la grande allée conduisant à quelque chose d’informe, que je présume néanmoins être un autel... de gauche à droite les chaises sont mal rangées, un peu comme si elles venaient d’être occupées par des gens pressés de les quitter, pourtant elles sont couvertes d'une couche grasse de poussière... au sol, sont disposés en forme de cercle des palmes flétries et tâchées de vin de palme... je respire... pour la première fois j’entends le tic-tac continu d’une horloge, géante, peut-être... son intensité accroît à mesure que je m’approche du supposé autel...
― arrête-toi là, gronde la voix... au-delà c'est mon domaine exclusif...
le temps de laisser marteler quelques tic-tacs, elle reprend...
― que viens-tu faire ici ?... on ne t’a donc pas dit que je n'accorde plus de bénédictions ?
― je... euh... j’étais déjà là et vous m'avez quand même demandé d'entrer...
― moi, je t'ai quand même demandé d'entrer ?... sacrilège !... je t'ai quand même demandé d'entrer alors que la porte est fermée depuis exactement trente trois mille trois cent trente trois jours et pas un plus et pas un de moins ?...
― mais... euh... je ne savais pas, moi...
― tu ne savais pas !... tu es entré ici et tu dis que tu ne savais pas ?... moi aussi, je suis entré ici un jour, tout comme toi, et pour tout te dire je savais pas, tout comme tout... à cette époque bien lointaine mon aura attirait encore le monde, les gens venaient nombreux solliciter mes faveurs, ils m’apportaient en échange les meilleurs fruits de leur cœur, mais il y a trente trois mille trois cent trente trois jours ― soit dit en passant que ce chiffre est un pur produit de mon imagination ― il y a trente trois mille cent trente trois jours donc ils se sont soudain levés et sont tous partis, sans aucune explication, faisant cependant de moi leur prisonnier...
― tu es prisonnier ?... comment ça se fait ?... je lui demande en toute sincérité car, je crois ― d’ailleurs comment ne pas être ému par un destin pareil ―, que cette révélation a fait naître en moi de la sympathie à son égard...
― chacun porte ses chaînes, rétorque t-elle enfin...
― tu veux me faire croire que tu portes des chaînes ?
elle reste muette, la voix...
je profite de son silence pour ausculter le supposé autel, qui se révèle être en fait un nuage d'obscurité... j’ai peur... l’idée de me retrouver moi aussi prisonnier traverse mon esprit... mais je ne sais comment je parviens à m’en débarrasser... toujours est-il que j’ai désormais la conviction d’avoir à faire à un mensonge... oui, la voix est un mensonge... la voix est mensonge... la voix mensonge... alors j’explose de rire... je ris... je ris... en face, ou à côté, ou de partout à la fois, toujours ce même silence... je décide donc de la faire parler un peu plus, pour jouer... je lui pose toutes les questions qui me viennent à l’esprit, même des plus stupides... j’ai tout mon temps... je l’aurai à l’usure... je lui arracherai la vérité, rien de moins, sur les circonstances exactes ayant conduits à son incarcération, sur la nature de ses relations avec ses condamnateurs, sur les évènements les plus insignifiants de son histoire personnelle, bref, je la mettrai à nue… hélas ! à chacune de mes tentatives elle reste insolemment muette...
― qui es-tu pardi ?...
― on ne me pose pas de questions, rétorque t-elle, agacée... ici c'est moi qui les pose, les questions...
je me sens tout à coup apaisé... je me dis, peut-être : il est temps de t’en aller... seulement, l’ouverture par laquelle je crois avoir accédé à la salle est maintenant prise dans le nuage d’obscurité... le tic tac de l’horloge peut-être géante est de plus en plus caverneux : on dirait que l’angoisse rampe en direction de mon cœur... le chat gris aux pupilles acajou se met à pleurer : on dirait un nourrisson en mal de sommeil... je suis perdu, je me dis... mais je n’ai pas peur… le nuage galope de toute part vers moi, je sais que bientôt je serai avalé puis digéré par lui... et pourtant je n’ai pas peur... je ris... je ris... je pense : une porte... l’armoire de chambre se change en porte... le nuage est bientôt proche ; il galope, sûr de son mouvement, sûr de son intention... je dis : ouvre-toi, porte !... elle s’ouvre, la porte... sur un mur en briques de terre rouge... dessus il y a une pancarte, où quelqu’un a écrit : foutu, tu l'es vraiment.
© Timba Bema, Nuit du 26 au 27 Octobre 2007

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