La promise venait d'avoir treize ans (3/4)

Quand le corps de la promise s’allumait de ce feu étrange dont seul le benjoin sait allumer les corps, l’élu en éteignait le brasier à grands coups de langue. Alors, les doigts de cette dernière s’enfonçaient dans le moelleux des draps, son ventre chamboulait toutes les treize secondes au rythme d’un puissant séisme, et elle plantait ses dents écarlates dans le bois du repose-tête, avec sur le visage cet air de plaisir, que l’on retire en croquant dans la chair mûre d’une goyave. Savait-elle de quoi elle était le siège ? Pouvait-elle nommer cette bête qui travaillait les membranes inférieures de son sein ? Personne ne pouvait le savoir, personne, pas même cet homme, pourtant rompu à l’expérience des femmes. A ce propos, de toutes celles qu’il avait pratiquées, au-dehors comme au-dedans des liens du mariage, aucune, cela était sûr, aucune n’avait eu expression si pure, si sincère de son ressenti. Il en était encore tout ému lorsque la promise leva son bassin vers le plafond en osier, afin de déverser les eaux qu’elle était allée puiser au fond d’elle-même, dans ses innocentes entrailles. A l’instant, l’entre-jambe de l’élu fut le théâtre d’un précieux miracle : son sexe revenait à la vie, après treize années jour pour jour d’une mort attestée par tous les savants.


Avec l’œil lubrique d’un perroquet gris, il se transporta de nouveau dans l’antichambre, d’où il revint bientôt avec une cassette de bijoux, achetés voici une bonne trentaine d’années auprès de femmes touaregs, alors en transit dans le nord du pays. Il aurait tant aimé en recouvrir une de ses quarante épouses, celle qui aurait su se montrer la plus touchante, la plus disponible, la plus exaltée, mais, en vérité, leurs nombreux essais se soldèrent tous sur un échec, le condamnant à nourrir dans son ventre, jusqu’au terme de sa traversée, l’appendice de la déception. Or, sans le début du commen- cement d’un effort, la preuve lui avait sauté aux yeux, comme quoi la promise était la seule personne digne de revêtir ces parures. Il lui en suspendit donc aux oreilles, sur le nez, sur la langue, autour du cou et des hanches ; il lui en agrémenta les lèvres basses, le tour des poignées, des avant-bras, des chevilles, des doigts des mains ainsi que ceux des pieds. Quand le jeune corps fut entièrement couvert de ces bijoux naguère travaillés par des alchimistes de renom, vivant enfermés dans leurs laboratoires au milieu des dunes, il sut que le temps était venu pour lui de mettre fin à sa traversée. Alors, il sortit de sa marmite de chevet un poignard bien entré dans son fourreau, et le présenta à la promise qui, dégaina aussitôt. L’élu connut un sursaut d’oubli, et supplia un temps mort. Il alla tirer une sacoche dans son magnifique secrétaire en bois de fromager ; celle-ci contenait ses titres de propriété et ses droits, dont il céda la jouissance à la promise. De nouveau il s’allongea, la poitrine à découvert, les yeux déjà perdus dans l’obscurité d’un interminable battement de cils. Le poignard au métal arqué, brillant et coupant, fut levé derrière le dos par un bras ferme, dont la rapide chute fut freinée par une demande inattendue, vraiment inattendue, à savoir, celle d’un baiser sur la bouche. Etait-il à son aise ? Il cligna tout juste des paupières. Connaissait-il enfin le frisson de la peur ? Il n’eut même pas le temps de répondre que les lèvres de la promise fondirent sur les siennes. Ah, quelles saveurs on laisse derrière soi ! Ah, quelles douceurs voudraient donc me retenir ! Devait-il se dire quand, la première des treize sentences s’abattit sur son cœur.

© Timba Bema, 2008

Commentaires

Anonyme a dit…
Est-ce un phantasme, un dernier soubresaut, le dernier rêve d’un homme avant de sombrer dans l’Inconnu ou est-ce une formidable grâce bien réelle accordée au vieillard avant qu’il ne meurt, ton texte si emprunt de plaisir absolu nous fait la grâce de nous laisser dans le doute, malgré la référence de l’introduction.

Puisque tu me l’as demandé une fois, si ce texte pourrait faire l’objet d’un film ou non, je te répondrai selon mon humble sentiment : il faudrait à mon avis être garant d’une virtuosité majeure des images, qui permettrait de jouer avec l’ambigüité et la métaphore, car là où le langage, lorsqu’il est utilisé avec subtilité comme dans ton texte permet de parler de cet acte somptueux avec un raffinement noble, le caméra n’est que maladroite, voire parfois vulgaire. Les images prouvent leurs limites, elles n’ont jamais su montrer l’acte amoureux avec raffinement. Mais rien d’artistique n’étant impossible, la recherche, malgré son labeur, serait fort intéressante.

En tous les cas chapeau bas pour ce très beau texte !
Très chère, je te reconnais bien évidemment mais je garderais le secret sur ton nom. Au plaisir d'en discuter prochainement. Bons baisers à toi.

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