Vers un boom de la littérature africaine en France ?

Dans un article paru en septembre 2020 dans Literary Hub, Alvaro Santana-Acuña explique comment les éditeurs espagnols, pour élargir leur marché naturel à bout de souffle, suscitèrent le boom de la littérature sud-américaine dans les années 60. La mesure de ce succès est le nombre de tirages, mais aussi de prix espagnols remportés par les écrivains sud-américains, ainsi que le prix Nobel de littérature, l’étalon international.



On en compte six à ce jour : Gabriela Mistral (1945), Miguel Angel Asturias (1967), Pablo Neruda (1971), Gabriel Garcia Marquez (1982), Octavio Paz (1990) et Mario Varga Llosa (2010). Des écrivains connus et lus à travers le monde et dont certains le seront encore dans 100 ans.


Pour en arriver au prix Nobel de littérature, des ingrédients ont contribué à la montée en puissance de la littérature sud-américaine. On peut notamment citer : la starisation des écrivains, la marchandisation de la littérature (dans le sens de sa démocratisation ou popularisation), le formatage des textes (en fonction des attentes réelles ou supposées du public, les éditeurs suscitaient des nouvelles ou des sagas de plusieurs centaines de pages), le rôle primordial des intermédiaires tels que les agents littéraires et les traducteurs, la conviction chez différents acteurs de la chaîne du livre que les écrivains sud-américains apportaient quelque chose nouveau, et surtout la création d’un marché transnational (un ouvrage publié à Madrid était vendu tel quel en Espagne et en Amérique latine).


Depuis les années 2000, l’édition traditionnelle connaît une crise mondiale alors que de 1955 à 1971 les parutions ont été multipliées par 6 aux États-Unis et par 3 en France et en Allemagne. Avec l’explosion de l’autoédition, l’entrée de nouveaux acteurs comme Amazon, Rakuten, Cdiscount, la pression vers la numérisation, l’érosion du lectorat qui est de plus en plus âgé et surtout la baisse de rentabilité, l’industrie du livre tend à se concentrer. Les petits éditeurs ferment les uns après les autres, les libraires leur emboîtent le pas.


À ces éléments, il faut ajouter un entre-soi rendu public à l’occasion de l’affaire Metzneff en France ou du prix Nobel de Littérature. Certains auteurs ont tenté maladroitement de formuler des excuses, sinon des explications. Mais, ces scandales ont surtout dévoilé l’envers du monde littéraire, sa face sombre, en complet décalage avec les mouvements qui contestent les modèles et hiérarchies promus par les sociétés. C’est dans ce contexte de doute profond que l’édition française lorgne l’Afrique francophone comme dans les années 60 l’édition espagnole se tourna vers l’Amérique latine. Assistons-nous aux prémices d’un boom de la littérature africaine en France ?


Les auteurs africains publient en France depuis les années 20. Parmi les premières œuvres de fiction, on relève Les trois volontés de Malic du sénégalais Amadou Mapaté Diagne (1886-1976) parut en 1920 à la Librairie Larousse, Force-Bonté du sénégalais Bakary Diallo (1892-1978) sorti en 1926 aux Éditions Rieder ou encore L’esclave de Félix Couchoro (1900-1968) dans La dépêche africaine, une revue née de la scission du Comité de Défense de la Race Nègre en 1927. Toutefois, c’est dans les années 50 qu’on va assister à une prolifération de titres par des Africains venus poursuivre leurs études supérieures dans ce qui s’appelait alors la métropole. On peut citer ici des auteurs tels que Senghor, Mongo Béti, Camara Laye, Bernard Dadié, Ferdinand Oyono, Sembène Ousmane, etc. Ils publiaient à compte d’éditeur chez Le Seuil, Buchet Chastel, Julliard, Plon et Présence Africaine. On ne parle pas encore d’une stratégie éditoriale ciblée vis- à- vis de l’Afrique, puisque ces parutions suivent le cursus classique de sélection des textes.


C’est plutôt dans les années 60 que l’on voit apparaître un nouvel acteur, PierreJean Oswald (PJO), en rupture avec les pratiques éditoriales de l’époque. Fondée en 1967, PJO publie des auteurs tels que Tchicaya U’Tamsi, Jean-Baptiste Tati Loutard, Maxime N’Debeka, Patrice Kayo, Puis Ngandu, Kum’a Ndumbé III, à travers ses deux collections phares « Théâtre africain » et « Poésie/prose africaine ». Il lance également l’édition à compte d’auteur, dans un contexte de guerre froide où les idées de gauche sont farouchement combattues.


Après sa faillite en 1977, son fonds est racheté en 1978 par L’Harmattan, qui continue d’être le premier éditeur de textes en français d’auteurs africains en France et désormais en Afrique à travers ses antennes locales. Tandis que L’Harmattan reprend le principe de l’édition à compte d’auteur, Hatier à travers « Monde noir », Actes Sud à travers « Lettres africaines » et Gallimard à travers « Continents noirs » adoptent successivement le principe d’une collection dédiée à des auteurs africains.


À ses débuts, la collection « Continents noirs » lance un appel à manuscrits à l’issue duquel Ainsi va l’hattéria du Béninois Arnold Sènou est publié en 2005. Il s’agit d’un premier roman et le concours remplit parfaitement son rôle en ce sens qu’il fait connaître un nouveau talent. L’expérience n’a toutefois pas été reconduite. L’éditeur n’ayant peut-être pas été convaincu de sa pertinence éditoriale ou commerciale. Quoi qu’il en soit, l’auteur a disparu du paysage littéraire, ce qui marque donc l’échec, sur le long terme du moins, de cette initiative. Quinze plus tard, Jean-Claude Lattès récidive en lançant le prix Voix d’Afrique qui fonctionne également sur le mode du concours. En effet, de jeunes plumes soumettent un manuscrit inédit au comité de lecture du prix, avec à la clé une publication du lauréat par l’éditeur.


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