Le retour de la poésie: interview

1 — Bonjour Timba Bema. Nous sommes heureux de vous recevoir sur Biscottes littéraires. Écrivain, musicien, vous êtes un artiste polyvalent et multitalent. Les lecteurs sont sans doute curieux d’en savoir plus sur l’homme. 

Bonjour. Je vous remercie de cet entretien. Il est toujours difficile de se définir, c’est-à-dire de tracer une frontière entre soi et les autres, de délimiter un espace où on serait soi et pas l’autre. Je pense que cette tendance est liée à la propriété. Il se trouve que dans certaines civilisations, l’individu ne peut se saisir que par rapport à ses possessions. Il est parce qu’il possède, il est par ce qu’il possède, il est réductible à ses possessions. C’est donc en considérant la propriété que l’on parle de soi avec certitude, sans réserve, sans crainte finalement de passer à côté du sujet, c’est-à-dire de soi-même. Je ne vais donc pas me lancer dans cet exercice. Toutefois, je vais vous raconter un souvenir qui, je crois, a construit l’homme que je suis devenu. En classe de CE1, ma maîtresse, madame Sippora, je me souviendrai toujours de son nom, nous demanda, à la rentrée des classes, d’acheter des couvertures pour couvrir nos cahiers. Tandis que les cahiers de camarades avaient des couvertures en plastique de différentes couleurs, les miens étaient protégés par du papier pour patron de couleur kaki, généralement utilisé pour concevoir des vêtements. C’est que ma mère, couturière à ses heures perdues, estimait que ce serait gaspiller de l’argent que d’acheter des couvertures en plastique qui se seraient déchirées avant la fin du premier trimestre. J’eus beau pleurer, refuser d’aller à l’école, elle resta ferme dans sa position. D’abord honteux, je me ravisai lorsque je réalisai que mes camarades ne faisaient aucune remarque sur mes cahiers.


2 — Pour quelqu’un qui a côtoyé une foule de musiciens pendant son enfance, l’avenir le plus probable était bien celui de chanteur. Mais vous prenez tout le monde en contre-pied en optant pour la littérature et l’écriture. Pourquoi les lettres ?


Je pense qu’une des choses qui me caractérisent est de ne pas toujours faire ce que l’on attend de moi, de ne pas toujours être là où on m’enferme. C’est un certain goût de la liberté, de la vérité et aussi de l’authenticité. La musique occupe une place très importante dans ma vie, en ce sens que je vis dans et avec la musique. J’écris des chansons, je compose et je joue d’un instrument. J’aborde la musique comme une consolation. Sinon comme une oasis, un enchantement, un moyen de retrouver une certaine légèreté, une candeur, de m’oublier, de m’élever dans les airs et voler comme un pélican, cet oiseau qui me fascine tant. L’écriture sollicite plutôt chez moi la réflexion, le questionnement. Elle m’est apparue comme le moyen le plus adéquat pour explorer les ressorts de l’âme humaine, ce qui n’est pas vraiment possible avec la musique. Les mots me semblent donc nécessaires puisque nous sommes des êtres de langage et que nous saisissons tout à travers les mots. Parfois, en entamant un projet, je ne sais pas où il va me conduire ni quelles en seront les péripéties. Il peut aussi avoir pour point de départ une question que j’aimerais élucider ou dépasser. J’aime bien voir la vie comme une expérience de la traversée. On traverse des portes pour y cheminer. Et justement l’écriture d’un livre permet de passer d’une pièce à une autre, grâce à la connaissance de soi et du monde qu’il rend possible.


3 — À l’origine était Kafka, l’inconnu austro-hongrois devenu votre ami. Parlez-nous de votre rencontre avec cet écrivain d’outre-mer et de son influence sur votre parcours.


La rencontre avec Kafka s’est faite de la façon la plus classique possible avec un écrivain c’est-à-dire à travers ses livres. Elle a commencé avec la lecture de Le procès qui était au programme scolaire. Ce roman a exercé sur moi un pouvoir hypnotique. Il m’a obsédé de longues années, notamment la scène de la porte de la loi. Il s’agit de cet homme qui arrive seul devant la porte qui lui est destinée sans le savoir et meurt sans jamais pénétrer à l’intérieur de la loi. J’ai aussi été saisi par l’univers d’oppressant qu’il mettait en lumière. Cette prison où on entre par la naissance et d’où on ne peut sortir que par la mort. Il était évident que Kafka me parlait de la société dans laquelle je vivais, qu’il me donnait le mot « prison » pour la qualifier et donc la dévoiler. Le Cameroun, comme la plupart des pays d’Afrique francophone sont des tyrannies qui étouffent les individus. Bref, Kafka m’a donné, aussi paradoxal que ça puisse paraître, la clé de compréhension de mon pays, il m’a permis de nommer la réalité que je percevais alors confusément. Je ne peux que lui être reconnaissant pour cela.


4 — Qui dit Timba Bema dit forcément poésie. C’est ce qu’on peut appeler votre genre fétiche. Pourquoi la poésie ?


Chez moi, le genre employé dépend de l’intention. Le théâtre, je l’envisage comme un rituel, l’exécution d’un rituel, ce qui est sans rappeler les mascarades en Afrique ou le théâtre grec. Le roman, la nouvelle, je les emploie lorsque je veux vivre avec des personnages, les suivre, les laisser me parler, etc. Il se trouve que, pour des questions liées à l’édition, c’est ma poésie qui s’est la première offerte au monde. Elle est le moyen d’accéder aux profondeurs, de saisir les aspects multiples d’une réalité. C’est un genre qui permet d’être radical, intransigeant et surtout d’explorer la forme elle-même, la forme dans laquelle le poème est restitué. Je me sens d’autant plus libre ici que les attentes du public ou même des éditeurs ont peu d’emprise sur mon travail. Seule compte à la fin l’émotion provoquée par la beauté et le sens convoqués par le poète.


5 — Vous faites de la poésie comme on en lit très peu ou pas du tout. Une poésie affranchie des rimes et autres fioritures auxquelles on tend à réduire le genre. On est tenté d’appeler cela de la poésie en prose. Mais non, votre poésie ne semble pas pouvoir tenir dans ce carcan. Vous, comment la qualifieriez-vous ?


Ce qui vous fait penser à la prose c’est certainement le verset, ce vers très long comme le pratiquait Senghor ou Saint-John Perse. Toutefois, il se trouve que dans le Ngosso, le chant traditionnel Duala, le peuple dont je suis issu, on retrouve une technique de chant qui s’exécute selon les mêmes modalités que le verset. Des musiciens comme Douleur ou Petit-Pays le maîtrisent à la perfection. Je pense que ce goût du vers long, comme une phrase du saxophoniste John Coltrane ou de Charles Lloyd, vient de là. S’il faut qualifier mon vers, je parlerai volontiers d’un vers libre, en ce sens que je ne le soumets pas à une contrainte formelle de départ. Je le laisse aller au bout de sa trajectoire comme une fusée de secours lancée dans une nuit brumeuse...


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