La Suisse est-elle contre la liberté ?


Oui, la Suisse est un pays neutre. Oui, la Suisse respecte le droit de tous et de chacun de manifester, d’exprimer son opinion, raison pour laquelle elle a autorisé le 29 juin une manifestation pro-Biya devant l’hôtel Intercontinental à Genève et une autre de la dissidence camerounaise à la Place des nations située à quelques encablures. Oui, la Suisse est neutre. Je le sais. Moi qui vis dans ce pays depuis plus d’une dizaine d’années, je le sais très bien. La Suisse est neutre. Cette sentence est si souvent répétée qu’elle est devenue un dogme. Pourtant, oui, pourtant, ce dogme mérite d’être questionné. 

La neutralité n’est pas une valeur en soi

La neutralité n’est pas une valeur en soi mais une position stratégique. La Suisse a adopté cette attitude pour s’octroyer une marge de manœuvre par rapport à la puissance américaine et l’ex-URSS. Elle s’offre ainsi la possibilité, sur des points stratégiques non essentiels, de suivre son propre chemin. Elle se fonde sur une valeur cardinale : la liberté. Celle de la Suisse d’abord, s’entend.

La liberté étouffée au Cameroun

Il se trouve justement que la liberté, cette valeur si chère à la Suisse, à la base de laquelle deux manifestations contradictoires ont été autorisées, est une chimère au Cameroun. Ce que les Suisses ont vu s’exprimer dans les rues de Genève c’est la confrontation entre d’une part, un camp pour qui toute manifestation, je dis bien toute manifestation est interdite au Cameroun, un camp qui réclame à cor et à cris la liberté ainsi que la naissance du citoyen, et d’autre part, une tyrannie à bout de souffle qui, dans l’espoir de se régénérer, condamne l’individu au statut d’indigène, le réduisant pour mieux le contrôler à son origine tribale.

Les Suisses savent qu’on ne peut pas mettre sur un même pied d’égalité ceux qui se lèvent pour la liberté et ceux qui règnent par la terreur. Car, il est vrai que le régime conservateur et extrême-droitisant de Paul Biya corrompt, menace, viole, pousse à l’exil, emprisonne ou tue toute voix qui réclame le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine. Devant un tel régime, la neutralité consisterait à lui octroyer une considération que toutes les puissances mondiales lui ont retirée.

La position suisse réconciliée avec ses valeurs

La position suisse vis-à-vis du régime Biya est en contradiction avec ses valeurs. Comment ce pays fondé sur la liberté peut-il justifier sa complaisance vis-à-vis d’un régime qui a transformé un pays de 25 millions d’habitants en une prison à ciel ouvert ? De tels errements ont été observés jadis avec de nombreux dictateurs, avant un revirement honteux de dernière minute, lorsque les peuples se sont enfin débarrassés de ceux-ci. Est-ce cela que la Suisse attend ? Que les Camerounais gagnent leur liberté afin qu’elle reconnaisse la nature tyrannique du régime Biya ? Non, cette position attentiste serait une défaite morale pour la Suisse car, pour une fois, elle peut se montrer à elle-même qu’elle place ses valeurs au-dessus de ses intérêts.

 

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