Télégrammes interceptés par la NSA [2057]


«Nous, le groupe du 5 Février, résolus de défendre l’unité nationale contre les séditieux, nous interdisons, pendant la période de deuil qui frappe notre pays, tout rassemblement de plus de deux personnes, quelle qu’en soit la nature, sur l’étendue du territoire national. Toute désobéissance sera punie de mort...»



Je m’appelle Dambaré Kodjo, fils unique de Dambaré Yaovi. Le nom de ma mère, je préfère le garder secret. Il a disparu le 12 Février 2005. On ne sait pas s'il est mort ou s'il est encore en vie, détenu quelque part. On raconte qu'une trentaine de personnes est toujours enfermée dans les caves du palais de Misahöhe, là-haut dans la région des plateaux. Chaque année, on remet un en liberté, le jour de la fête de l'indépendance. Cette année, ce fut le tour d'un certain Jacques Adebayor. Son corps est revenu dans sa famille, mais sa tête s'est perdue en cours de route. Malgré le doute, l'incertitude, l'angoisse, on s'accroche. On garde espoir. Ma mère, surtout elle, ne veut pas admettre la mort de son mari. À chaque repas, elle lui met de la nourriture de côté, comme elle le faisait jadis, lorsqu'il devait rentrer tard. Depuis quelques temps, je n'ai de cesse de me demander s’il avait entendu cet appel. Selon ma mère, il est sorti de notre maison le 12 Février 2005 à 13 heures 05 pour aller manifester au terrain de Bèniglato. L’opposition avait appelé le peuple à se soulever contre le coup d'état constitutionnel qui était en cours depuis la mort du lion de Kara. Alors, mon père, qui était instituteur, fils de paysans, qui avait manifesté dans les années 90 pour la restauration de la démocratie, après y avoir réfléchi toute la semaine, a démarré sa moto pour se rendre au meeting. Ses dernières paroles à ma mère ont été les suivantes: « On ne peut pas toujours vivre dans la peur.» Elle dit aussi, ma mère, qu'après avoir démarré son engin, il en est descendu, il m'a soulevé dans les airs, et a déposé un baiser sur mon front.


(c) Timba Bema, 2017

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