VINGT-SIXIEME DIVAGATION

tes paroles, mon amie, tes paroles soufflées, à peine, soufflées, dans la nuit sombre de l'hiver, tes paroles à peine écloses de tes lèvres ourlées et chaudes, et tombant mûres dans mon oreille gauche, tes paroles de cette nuit-là qui devait être la dernière, tes paroles étaient prémonitoires, mais sot comme j'étais je n'avais pas seulement voulu les entendre

je dis bien entendre, non pas écouter, puisque je les avais écoutées. tes paroles, je les avais faites entrer en moi, je leur avais fait une place au dedans de moi, et tout de suite après je les avais recouvertes de poussière, de la poussière noire du temps qui file à la vitesse de la lumière dans l'espace intersidéral, je les avais enfouies comme on enfouit sous le plissement d'une nappe de table une pensée coupable, en me disant qu'il suffirait juste de souffler dessus la poussière pour les entendre de nouveau telles que tu les avait dites, tes paroles prémonitoires, mais jamais n'est venue l'heure où j'aurais eu à me dire, maintenant tu dois souffler dessus

sept années durant tu connaîtras les sept lamentations qu'un homme doit connaitre sur cette terre afin de comprendre pourquoi il marche debout sur ses deux pattes arrières, tu devras connaitre les sept lamentations à raison d'une par année, tu avais encore dit, mon amie, dans un souffle, sur l'oreille de cette chambre d'hôtel où on avait baisé toute l'après-midi, et puis j'avais recouvert tes paroles de poussière, je m'étais dit que la baise, et le whisky que nous avions bu en quantité, que tout cela t'avait déglingué les neurones, et pourtant l'année suivante, quand la première de tes prémonitions se réalisa, je m'étais souvenu de tes paroles, puis je les avais tout de suite recouvertes de poussière, ainsi de suite, sept années durant, j'ai couvert tes paroles prémonitoires de poussière, et les choses qui étaient advenues, les faits que tes paroles prémonitoires avaient annoncés, je les avais mise sous le règne du hasard, o comme j'étais sot, sans le savoir, comme j'étais sot

maintenant, l'harmattan a soufflé, la poussière sur tes paroles prémonitoires s'est déposée sur le raphia des toits, et désormais elles cinglent dans ma tête, de jour comme de nuit, on dirait un tambour battu par la folie, elles cinglent, hurlent dorénavant pour rien, sinon pour entretenir en moi, comme un feu sur le point de s'éteindre, le remords, de n'avoir pas voulu entendre ce que je devais inévitablement connaitre, à savoir les sept lamentations qu'un homme doit connaitre sur cette terre afin de comprendre pourquoi il aspire, avec ceux de sa race, à l'horizon qui se dérobe à ses yeux, que je devais connaitre les sept lamentations, les connaitre, seulement 

(c) Timba Bema, 2014

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