Tout
ce qui a trait l'enfance reste dans la nébulosité de l’enfance.
On
n'avait jamais su son véritable nom. Un jour, sur la place,
quelqu'un avait ouvert grande la bouche et de celle-ci était sortie
quelque chose de plus terrifiant que la sentence d'un juge du siège :
Toi, avait martelé la bouche, toi je te baptise du nom de
Jojo-le-grand ! Et personne, du nombre de ceux se trouvaient sur la
place, personne n'avait rien trouvé à y redire.
Pourquoi
m'appelez-vous donc ainsi ? avait-il eu toutefois envie de leur
demander, mais il comprit bien vite que le nom c’est une boussole
pour les autres et non pour soi-même. Dès cet instant son être
changea de nature : celui qui n'avait pas de généalogie
trouvait enfin une place au sein de leur race dont la tradition
déclarait que l'enfant sans parenté est l'enfant de tous et de
chacun. Au
début, comme on peut le supposer de quelqu'un qui se trouverait dans
la même situation, son nom de baptême lui insuffla dans chaque
parcelle du corps fierté et tranquillité. Celui qu'on avait tantôt
pris pour un garçon buté et au cerveau poreux, se montrait
désormais sous un jour luxuriant, sautillant dans la rue, sifflotant
des airs de musique à la mode, jouant volontiers avec les autres
enfants, irradiant le monde de son sourire aux dents saines et
blanches, courant à la suite des passants pour leur dire avec sa
voix d'une candeur irrésistible : Moi, moi je suis
Jojo-le-grand ! En outre, celui qui la nuit, recroquevillé dans
sa cabane de tôles et de palmes dressée sur le bord de la route,
sombrait dans une angoisse irrépressible contre quoi il appelait en
vain les bras protecteurs d'une femme qui aurait été sa mère,
celui-là désormais se disait à part soi, dans une manière
convaincue de la magie de son baptême : Toi qui n’as jamais
été enfant, Toi qui n'es pas sorti du ventre d'une femme, voici
qu'en un claquement de langue tu es né d'une bouche ouverte sur la
place.
© Timba Bema, 2011
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