Petits arrangements avec le réel (1/5)

Le premier homme - Et n’est-ce pas ! Et comme ça ! Et ainsi de suite et tutti quanti ! Bref que tu te refuses à la chose ! Que tu fermes les yeux ! Que tu ne veux pas voir ! De tes yeux ! N’est-ce pas ?

Le dernier homme - Oh mais toi alors tu me fais chier ! Laisse-moi passer ma route tranquille !

Le premier homme - A qui le dis-tu ! Voilà ta route tracée courbe devant toi ! Tu n’as qu’à la prendre et t’en aller ! Allez va t’en ! Cours dans la nuit d’où tu te refuses, je dis bien, te refuses de sortir ! Cours dans le vent et avec le vent et déploie tes ailes pour t’envoler loin, loin de moi !

Le dernier homme - Donc comme ça tu veux que tu partes ?

Le premier homme - Tu l’as dis toi même ! Le premier, si cela t’a déjà échappé !

Le dernier homme -Et toi, que veux-tu ? Que je reste ou que je parte ?

Le premier homme - Fais comme bon te semble ! Tu es libre non ? Alors fais comme on fait quand on se dit libre !

Le dernier homme - Est-ce bien toi qui me dis, je te reprend, Fais comme bon te semble parce que tu te dis libre ?

Le premier homme - Mince alors mais que tu me fais chier ! Tu as dis : Je pars ! Et moi je t’ai dis : Pars donc puisque tu as dis : Je pars ! Y a quelque chose là-dedans de bien compliqué ?

Le dernier homme - Ainsi toi mon compagnon de route tu m’as dit pars ! La route est tracée courbe devant toi ! La route, là, sur laquelle on est actuellement. Nos deux pieds dessus ! Sur la route, je veux dire ! Tu veux que moi je parte ! Tu l’as dit ! Or, depuis une heure qu’on marche ensemble tu n’arrêtes pas de me faire le reproche que je me refuse à voir ! Tu te fais ma conscience ! Le gardien de ma conscience ! Et maintenant tu me dis, Pars si tel est ton désir ? Non, je te le dis tout de suite que je ne partirai pas ! Pourquoi partir dans ce cas ? Ou si tu veux, je vais partir parce qu’il faut qu’à un moment ou l’autre on se sépare ! On n’est quand même pas né du même ventre ! On n’a pas respiré le même air et rien, je dis rien ne nous destine à rester ensemble alors il est clair qu’un jour ou l’autre je devrais partir ! Mais en attendant laisse moi te dire que c’est lâche de se faire la conscience de quelqu’un qu’on connaît à peine et de lui dire comme ça : pars !

Le premier homme - O mais ce gars il va me pomper mon air encore jusqu’à quand ?

Le dernier homme - Qu’est-ce que tu as dis ?

Le premier homme - J’ai dis que tu pouvais rester ! Voilà ! Tu ne veux plus partir ? Alors reste !

Le dernier homme - Oui je reste ! Mais à une condition : que tu me dises exactement ce que selon toi je dois voir et que je ne vois pas !

Le premier homme - Laisse tomber !

Le dernier homme - Oh que non ! Tu vas devoir me dire ! Tu vas parler ! N’est-ce pas que tu vas parler ? Tu vas parler ! Mais alors tu vas parler !

Le premier homme - Mais calme-toi donc ! Je vais parler ! D’abord vient on va s’asseoir sous l’ombre au tableau là sur le côté ! C’est que le soleil il cogne au pilon sur le crâne et avec ça on ne peut pas avoir les idées claires ! Allons, viens donc que je te dis !

L’ombre AU tableau - Soyez les bienvenus sous mon ombre, humbles voyageurs !

Le dernier homme – aaaaaah ! Mais qu’est-ce qui as parlé ! C’est quoi cette voix gutturale qui vient de nous souhaiter la bienvenue ! Tu ne me fais pas encore un de tes tours de magie, dis ?

Le premier homme - De quoi tu parles ? Une voix ? Une voix qui a parlé ? Je n’ai rien entendu, moi ! Une voix, une voix, mais dis pas que ça te reprend déjà de pas voir les choses ! Allez, assied-toi là !

Le dernier homme - Je te jure que j’ai entendu une voix ! Une voix humaine, si tu veux tout savoir ! Une voix d’homme des cavernes avec des échos en veux-tu en voilà! Une voix à vous faire pisser dans la culotte !

Le premier homme - Oui, c’est ça même, une voix, je vois ! La voix sur le toit qui rit à reculons ! Bon ! Trêve de plaisanteries ! On va passer aux choses sérieuses maintenant ! D’abord, tu vas me dire ce que tu vois là devant toi !

Le dernier homme - Beh c’est facile ! Il y a la route, les arbres, les oiseaux, l’herbe, le sable, les cailloux, un troupeau de moutons, et…

Le premier homme - C’est parfait ! Et maintenant tourne-toi ! Oui, tourne-toi ! Et dis moi ce qui se trouve derrière ton dos !

Le dernier homme - Tu veux dire ce qui se trouvait derrière mon dos ?

Le premier homme - Je veux dire ce qui se trouve derrière ton dos !

Le dernier homme – M’enfin, sois un peu plus clair ! Tu veux parler de ce qui se trouvait derrière mon dos avant que tu me dises de me tourner ou de ce qui est derrière mon dos après que je me suis tourné ?

Le premier homme - Quel compliqué il est cet individu !

Le dernier homme - Tu dis quoi ?

Le premier homme – Rien ! Ou si tu veux je disais tantôt à moi-même que ta question est sensée ! Alors je me reprends : dis-moi ce qui se trouve là maintenant derrière ton dos !

Le dernier homme - Je vois, je vois, oui, je vois une ombre au tableau.

© Timba Bema, 2012


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