Après la fugue, le commissariat (1/3)

Monsieur le Commissaire, je vais parler, je vais tout vous dire, si seulement vous cessez de me battre! Si vous voulez savoir comment je suis arrivée là où vos deux agents que voilà m'ont arrêtée, je dois tout vous dire depuis le début. Le ciel nous fait souvent des chichis même quand on ne lui a rien demandé. Moi, je n'avais rien demandé au ciel. Ma mère elle, elle demandait au ciel de lui envoyer un homme, elle partait même à l'église pour chercher un homme, elle partait même chez le marabout pour chercher un homme, et un jour, le ciel qu'elle priait, les ancêtres à qui elle donnait le sacrifice se sont entendus pour lui envoyer donc son homme, et cet homme-là est venu, il est resté à la maison, il s'est mis à dormir dans la chambre de ma mère, et comme ça elle m'a dit de l'appeler Tonton, et moi je l'ai donc appelé Tonton. Au début Tonton était gentil avec moi, il m'apportait toujours les biscuits, les bonbons-sucettes, les chocolats, et d'autres trucs aussi comme ça. Aïe, monsieur le Commissaire ne me tapez pas ! Je vais parler, je vais vous dire toute la vérité, mais il faut me laisser commencer par le début, je jure que ce que j'ai dit tout à l'heure est la vérité, monsieur le Commissaire! Un jour comme ça alors je rentre de l'école. Il n'y a personne à la maison, je me dis, parce que je ne vois personne dans la cour, au salon, à la cuisine, partout. Ma chambre est dans le noir, mais j’ai l’habitude, depuis le temps qu’on a coupé le courant chez nous, parce que ma mère ne veut plus payer les factures, elle dit que les gens du courant sont des voleurs. Aïe monsieur le Commissaire, ce n'est pas moi qui dis ça même si je dis ça mais c'est ma mère! Moi je ne parle-parle pas par derrière des choses que je ne connais pas, comme ma mère, quand elle dit que les gens du courant sont des voleurs. A vos ordres monsieur le Commissaire je ne vais pas insister dessus ! A vos ordres monsieur le Commissaire, je continue ! Je jette donc mon sac à dos dans un coin, je me déshabille, je pense déjà au bain que je dois aller prendre, parce que c’est ma maman qui a dit ça, que je dois toujours me laver quand je rentre de l’école, parce que quand je vais à l’école je reviens toujours avec sur le corps une odeur de margarine, de sommeil et de... vous voyez! l'air-là qui sort par la porte de derrière et qui sent mauvais comme ça! Ne riez pas monsieur le Commissaire ! C’est ma mère qui dit comme ça : Ah ma fille, qu’est-ce que tu sens mauvais quand tu rentres de l’école ! Je me déshabille alors, je ne sais pas encore qu’il est là, dans ma chambre, couché sur mon petit lit, qu’il me regarde, le Tonton, le « chéri coco fidoline » de ma mère à moi. Après seulement, quand je suis nue, je commence à écouter comment quelqu’un respire, et la personne, plus j'écoute comment elle respire, plus elle respire plus vite. Qui est là dedans même? que je dis, sans bouger, parce que j’ai trop peur de qui peut être là dedans dans ma chambre. Et la voix de Tonton, que je viens de reconnaître, me répond : n’aie pas peur ma fille, c’est Tonton. Alors ma peur me quitte, et je lui demande où est ma mère, parce que je veux le savon et la clé du puits pour aller me laver. Il me dit seulement que lui, il est fâché contre moi, parce que je ne l’ai pas salué comme on doit saluer son Tonton. Et puis, il me dit de venir lui faire un bisou, mais moi je ne bouge pas, je ne peux pas bouger, mes pieds tremblent trop, mes pieds pèsent trop. Il me dit alors de venir chercher le bonbon-sucette qu’il m’a gardé pour moi. Là, mes pieds deviennent bien, je ne sais pas comment, mais je marche jusqu’au lit, je suis déjà devant lui. C'est là que Tonton se lève et me dit de toucher ses seins. Je ne comprends pas, pourquoi il me dit de lui toucher ses seins, alors que les garçons n'ont pas les seins ? Mais lui, il hurle de toucher quand même, de faire comme si ce sont les vrais seins, et il prend ma main de force, et il pose ma main sur son sein droit, et il me dit : pince, ma fille, pince le sein de ton Tonton ! Alors moi je fais comme il dit, je pince fort. Et puis, après, il me dit encore : plus fort, ma fille, pince plus fort le sein de ton Tonton ! Alors moi je pince seulement, je pince plus fort. Et puis, après encore, il me dit encore : pince des deux mains, ma fille, les seins de ton Tonton ! Alors moi je pince des deux mains. Là, je ne sais plus ce qui m’arrive, mais je me mets à pleurer. Est-ce que je pleure pour de vrai ? Vous me demandez, monsieur le Commissaire, si je pleure pour de vrai? Je ne sais pas! Je ne sais plus ! Peut-être que je reste calme comme une grande, parce que mère dit toujours que les grands, eux, ils ont peur de rien, et parce que l'homme-là avec qui vos deux agents-là que voilà m'ont attrapé, cet l'homme-là m'a dit que je suis comme une grande. Et lui, Tonton, il respire vite, il respire plus fort, il respire comme quand on vient de courir, il respire sur ma poitrine, il respire sur mon cou, il respire devant ma bouche, et, il crie, il crie, il crie, puis, il se calme, il est calme, il est comme avant, comme avant le jour-là, il me prend dans ses bras, il me met le bonbon-sucette dans ma bouche, il me dit de sucer, et il me dit de rien dire à ma Mère sinon il va me couper en petits morceaux avec un coupe-coupe et me jeter aux chiens qui mangent dans la grosse poubelle qui est là-bas à côté de la route qui est là-bas à côté de chez nous. Alors, je jure de ne rien dire à ma Mère. Aïe monsieur le Commissaire ne me battez pas, je viens, je viens sur le comment je suis atterrie dans l’endroit là-même où vous deux agents-là que voilà m’ont arrêtée avec l’homme-là avec qui j’étais là-bas !

© Timba Bema, 2006


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