La promise venait d'avoir treize ans (4/4)

Dehors on dansait la danse de la traversée, menée tambours battants par un orchestre de trompettes, de harpes et de xylophones. Tout à coup on entendait un cri puissant et long, un cri à vous retourner quatre fois les organes sur place. La maison de treize étages, fière et arrogante à la manière d’un padouk centenaire, vacillait de crainte sur ses assises fortifiées. Peu après un vent de tempête agitait la robe touffue et sombre des arbres, soulevait la poussière rouge en des tourbillons hauts de treize tailles d’homme, mais étonnamment le ciel était dépourvu d’une seule tristesse de nuage ; il brillait plutôt d’un éclat bleu de lait, où se détachaient perceptiblement treize étoiles, arrangées en une sorte de triangle dédoublé par une lentille. L’extinction du cri fut saluée par treize détonations spectaculaires du tonnerre, qui ramenèrent à l’échelle de chuchotis le soulèvement joyeux des trompettes, des harpes, des xylophones et des voix. Tous sans exception avaient compris : le citoyen Mpacko Samelombo venait d’achever triomphalement sa traversée du monde.


Au milieu de cette agitation des éléments la promise s’élança dans la cour. Elle avait gardé sur elle sa jolie robe de naissance et tenait ferme le poignard, d’où s’égouttait le sang corrompu de l’élu. Selon la loi, les treize jeunesses promises à un avenir de promises auraient dû la couvrir, dès sa sortie de chambre, avec le voile tissé par sa mère durant les treize mois suivant sa venue au monde, mais celles-ci, apeurées par on ne sut jamais quoi, étaient restées de marbre derrière elle, à bonne distance ; de même, les anciennes auraient dû recueillir le poignard et le sceller dans une urne en terre cuite, que seul son futur époux aurait eu droit de briser afin d’attester son expérience de la promesse, mais, celles-là également étaient restées pétrifiées sur place. Etait-ce à cause de cet air angélique sur le visage de la promise ? Personne n’aurait su y répondre de manière franche et définitive, mais toujours était-il qu’elle s’arrêta pour regarder le triangle d’étoiles et son double dans le ciel, avec cet air de sympathie spontanée que l’on adopte vis-à-vis des oisillons nouveau-nés. Aux yeux de la plupart des témoins elle semblait hors d’atteinte du vent, qui nourrissait pourtant de gigantesques tourbillons de poussière, levait le linge des femmes au-dessus de leur tête ou le déchirait simplement ; elle semblait hors d’attente de la furie du tonnerre, qui tonna encore treize fois de suite, rompant les digues du ciel pour laisser échapper une bruine chaude et piquante au contact de la peau.


Les gens tremblaient de froid quand elle reprit sa marche. A chacun de ses pas ils reculaient de deux. En vérité ils n’étaient plus que réduits à cela : reculer, comme si tout instinct de fuite les avait désertés pour de bon. Quand ses deux pieds eurent franchi la barrière elle s’arrêta tout net. Cette fois elle alla planter ses regards dans ceux de la foule. Or, on n’aurait pu affirmer sur le moment qu’ils se comprenaient, que ces gens, si attachés à la loi et à son éloge entendaient la langue muette de ces yeux façon noisettes, et si en retour ces derniers éclairaient suffisamment l’esprit de la promise sur le bien-fondé de leurs certitudes. Comment d’ailleurs auraient-ils pu se comprendre, puisque cette jeunesse de treize ans d’âge avait prit la lourde décision d’habiter le silence, au lieu de cracher la bile qui rongeait son foie ― si toutefois la bile rongeait son foie ― sur la tête de cette foule momifiée par tant d’audace ? D’aucuns avaient commencé à s’animer l’esprit sur le sujet et se l’animent encore car, sous leurs yeux flambés par l’incrédulité, la promise leva le poignard en l’air et se le planta treize fois de suite dans le cœur.


© Timba Bema, 2008

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Monument de la laideur

« Pour qui j’écris vraiment ? » ou l’art de se poser la question

Cette histoire de la violence