La place des poètes – Aube

Territoire. Là où bute l’esprit. S’ouvre la voie de l’imaginaire, qui est lui-même un moyen de saisir l’espace. L’esprit ne veut pas laisser d’ombre. Il veut tout éclairer.

 

Ici, on ne parle pas de commerce. On ne dit pas : la poésie ne se vend pas. Le nombre de livres vendus n’est pas la mesure du talent, du génie, de la volonté d’ouvrir des portes, les unes après les autres, afin que la vie se rapproche toujours un peu plus de son état d’accomplissement, la bonne vie, la vie réussie, celle des accords plus que parfaits entre soi-même et les autres.



 L’argent achète tout, dit-on, ce qui signifie qu’il est la mesure de tout. Tout devient fatalement argent, dans le cycle de marchandise, et l’argent, pour se multiplier, pour enfanter ses semblables, se reproduire, passe par l’étape transitoire de la marchandise qui sera consommée. Le circuit parfait. Éternel, pense-t-on. Le rythme de la vie. Comme le cycle de la pluie qui alimente les rivières et les fleuves et la végétation, puis remonte sous la forme de vapeur sous l’effet de la condensation formant des nuages de coton immaculés qui dansent avec les vents, ces courants bruyants de la navigation, avant de retomber sous forme de pluie.

 

Le fait que la poésie échappe à la rentabilité est le signe de sa liberté, de sa grande liberté. Elle est irréductible aux lois du capital. On ne l’assigne pas. On ne la contraint pas. Elle était déjà là avant le capital et elle sait des entrailles intimes qu’elle sera toujours là après lui. On n’enferme pas la poésie. On ne la commande pas. On ne la jette pas en prison. On ne la torture pas. On ne la formate pas non plus. À peine la cristallise-t-on sous telle ou telle forme que des alternatives surgissent du point du jour. Elle est une expérience radicale de l’esprit, ouvert aux voix qui parlent en lui et à travers lui depuis la nuit des temps. En fait, depuis que les hommes font l’usage des mots pour se comprendre.

 

De même que les hommes continueront à croire aux forces de l’invisible, au mystère, il y aura toujours des poètes pour leur rappeler comme Dante dans sa Divine Comédie, que les portes, toutes les portes y compris celles des mondes souterrains sont faites pour être franchies par l’esprit avide de connaître, c’est-à-dire en train de cheminer vers son propre accomplissement. Le voilà qui creuse la terre de ses mains à la recherche de l’eau. Le soleil darde son crâne, ses omoplates nus. Sa langue est râpeuse. Son souffle est court. Ses doigts sont sanguinolents. Pourtant, il continue de creuser. La connaissance te libérera, dit le vieux sage à celui qui pousse la porte du labyrinthe.

Commentaires

Alix Parodi a dit…
Magnifique texte! Merci!
Hommage à Orphée le prince des poètes!

Posts les plus consultés de ce blog

Cette histoire de la violence

« Pour qui j’écris vraiment ? » ou l’art de se poser la question

Monument de la laideur