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Affichage des articles du 2008

Le petit train rouge (2/2)

Près d’Oostkamp un champ de froment s'étalait, des roselins cramoisis voltigeaient parmi les épis dorés et les pales des éoliennes. (…) je m’installai au pif dans un wagon de première, en face d'un monsieur, qui portait sur ses jambes un bichon maltais au poil neige de l’Edelweiss et à la petite langue rose, qu’il tirait avec une expression dont chaque ligne de mon visage singeait le martyre, et alors que je cherchais un moyen courtois d’en avertir son maître, j’allais surprendre la main de ce dernier à lui astiquer le fourreau, son beau fourreau neige de l’Edelweiss, hors duquel pendouillait une ficelle de chair rouge (…) Deux minutes d’arrêt à Brugge, annonça la ravissante voix de la contrôleuse, dont le message pourtant banal semblait en cacher un autre, celui-là destiné à la personne même de Karl Van der Merghen. (...) je courus à la toilette rincer la cendre du vice sur mon visage, j’en ressortis avec un goût de savon sur la langue, et la certitude que seule la fatalit

La loi de Forsoh (2/5)

Douala, vingt-neuf juillet Marguerite, ma chérie Que ma nuit fut courte, mais agréable. Je me suis endormi comme une masse, après avoir mis ta lettre sous pli, et c’est en marche vers la poste que soudain, croisant à un carrefour un couple en train d’échanger des au revoir, il m’a semblé avoir oublier de t’écrire combien je t’aime. Aussi, je vais me rattraper neuf fois de suite dans celle-ci : JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME. Ravie ? Com- blée ? Non ! Soulagée ? Oui ! C’est bien ! Où en étais-je ? Le réveil, Bien ! A la sonnerie de l’horloge de chevet, je me levai d’un bond : je ne voulais pas manquer l’aurore. En fait, c’est l’une des rares choses qui soient encore nettes dans ma mémoire. Pour tout te dire, je n’ai pas été déçu : le spectacle concordait point par point avec celui que j’avais en tête, de sorte que par moments il me semblait suggérer aux nuages et aux teintes du ciel leur mouvement ainsi que leurs couleurs.

La graine

"Être libre ou esclave de ses démons ? La question s’est toujours ainsi posée." Soliloque de l’homme nouveau-né. Dans les terres chaudes d'Amazonie, habite un vieillard avec tous les attributs du vieillard, un vieillard justement nommé le vieillard. Quand l’année pousse à son terme, il enfourche le dos de la lune et s’en va à travers monde, semer dans le cœur de chaque homme la graine pré- cieuse, celle qui a le pouvoir de les débarrasser à jamais de leurs démons, à la seule condition qu’ils lui reconnaissent ce pouvoir. Hélas ! bon nombre d’entre eux l’ignorent, et le peu qui le soupçonnent, se refusent d’y croire. © Timba Bema, 2008

La loi de Forsoh (1/5)

Douala, vingt-huit juillet Marguerite, ma chérie Il est une heure seize et des poussières à l’horloge de chevet : le temps ici. Sans doute une heure de plus à Paris : le temps entre nous. Te rends-tu compte ? rien qu’une heure de décalage, malgré cette forêt et ce désert et cette mer, comme autant d’abysses insondables creusés parmi nous ; une heure de décalage, et je te suppose loin, très loin déjà, noyée dans un sommeil paisible, tout à mon opposé. En même temps, je m’imagine, j’imagine que je veille sur ta paix, comme presque tous les soirs, lorsque l’heure est venue d’éteindre ma lampe ; parfois, il t’arrive de tressaillir au contact de mes lèvres sur ton cou, et de balbutier quelques paroles confuses, puis de te rendormir, sereine. Ici, c’est le Parfait Garden, l’hôtel en plein cœur de ville où je suis descendu ; ma chambre avec balcon est au dernier étage, tout près des nuages ; le panorama, déjà saisissant depuis l’angle du hublot, quand nous traversâmes la mangrove irra

Le petit train rouge (1/2)

En gare de Bruxelles, Karl Van der Merghen venait de s’installer dans le siège 77B du rapide de 12H06 pour Oostende. (…) je n’ai jamais cru aux diseuses de bonne aventure et encore moins aux beaux parleurs, mais je dois me résoudre à accepter que ça m’est tombé dessus au bon moment, entendons par là celui où je m’y attendais le moins, puisque je ne faisais que marcher dans la rue, au sortir de mon dixième entretien d’embauche du mois, pour un poste d'opérateur funéraire dans une compagnie de pompes funèbres, il va sans dire, où j’avais envoyé mon dossier sous la menace d'être exclu pour de bon du droit au chômage, par la dame de l'Office qui me l'avait assené avec un sourire satisfait de lui-même, un peu comme celui de cette autre qui venait en face de moi, le tailleur strict et les cheveux au vent, à l'avenue des Arts, où je marchais au calme à l’ombre des buildings aux vitres tein- tées, ma mallette tenue avec légèreté, le noeud de ma cravate détaché à cause de

La grotte aux singes funambules

[1] La musique du jour venait d’être reprise d’un geste magistral de la main par le conducteur des lieux, quand le caporal Jick Wolakoué mit pied à l’entrée de la grotte aux singes funambules, quelque part dans la ténébreuse forêt de Campo, où il avait rendez-vous dans moins d’un quart d’heure avec son informateur, un soi-disant déserteur de l'armée ennemie dont le camp de base était planté de l’autre côté de la frontière, matérialisée par une cascade au souffle asthmatique, à quoi venaient se mêler les cris sauvages des singes funambules qui pullulaient dans la zone. Le correspondant, dont il n'avait eu jusqu’ici la preuve de l’existence qu’au travers des télégrammes échangés avec assiduité depuis les deux dernières semaines, lui avait promis contre juste récompense la livraison de documents militaires du premier ordre, qu’il était parvenu à soutirer du coffre-fort de son général en chef. [2] Après avoir contrôlé l’heure à sa montre, le caporal Jick Wolakoué tâta une fois de

La joie du père est-elle celle du fils ?

à T.M La nouvelle était tombée des ondes. Un soir comme les autres, à ressasser des temps méconnus de la plupart des vivants. Mais après l’avoir entendue, n’y croyant pas d’abord et s’y faisant peu à peu, s’en accommodant comme des secousses d’un séisme dont la fulgurance s’éclaircie lentement à l’âpreté des sens, le père avait brandi son fils de cinq ans au ciel, comme si ce fut lui l’objet de cette joie viscérale qui transportait son cœur de vieillard dépassé par les ans, pour qui toute joie, aussi infime fusse t-elle, était occasion de célébrer la victoire mille fois renouvelée de la vie sur la mort. Les lumières du soir dansaient déjà à sa fenêtre, la douceur exceptionnelle de la journée s’apprêtait à déposer les armes, vaincue et amère, aux pieds des froides déesses de la nuit, et la casserole mitonnait le seul et unique repas de la journée, qu’il s’apprêtait à honorer avec en idée que cela était sa consolation, la consolation de l’homme brave et fier, malgré tout. A peine descend

Venu par une nuit orageuse de Septembre

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Septembre. Il était venu avec l’orage. Avec le sourire. Tandis que nous regardions la télévision. Nous. Quatre. Emerveillés par le décor baroque d’un feuilleton à l’eau de rose. Et il avait prit sa place chez nous. Bien au chaud. Je ne savais pas encore. Pour longtemps. Il s’était assis à côté de ma petite sœur. Noha. Sans que ni père ni mère ne réagissent à son intrusion dans notre intimité. A son viol des civilités les plus terre à terre. A sa ruse des bonnes idées et des bonnes intentions. Car ils étaient tout à fait absorbés par le feuilleton dont ils commentaient à voix déployée les rebondissements successifs. Qui était cet homme au sourire parfait et aux gestes en retenue ? Cet homme que ma surprise était loin d’ébranler ? Je me posais toutes ces questions quand mes yeux d’enfant frôlèrent sa peau. Comment se faisait-il que je ne l’eusse pas remarqué au premier abord ? Or il sautait aux yeux les plus clairs que le visiteur n’était pas comme nous. Le bruit des parents l’avait d

Gerganah Kovalevskaïa ou L’Autre Expérience du Goût

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© Irving Penn  Gerganah Kovalevskaïa croyait avoir tout vécu, au point de couver le sentiment de s’être à jamais brûlée les ailes. La vie d’ange écervelé qui fut longtemps la sienne avait finit par la rendre soupçonneuse de tout ce qui touche au plaisir, à savoir, les surprises dissimulées dans les petits riens, ainsi que les agitations dont pouvaient parfois receler le fil de ses jours maintenant anodins. Par une fin d’après-midi pluvieuse d’été, les certitudes de cette soixantenaire encore radieuse furent ébranlées sans remous, telles des cartes à jouer montées en pyramide, sous le souffle rude mais bienfaisant du Joran alors déchaîné. A l’instant même, elle sut que sa vie ne suivrait plus le cours tranquille où, avec l’habitude, elle se condamnait à la surdité devant l’appel de ses sens. Dans la jet set genevoise des années huitante, elle se faisait appeler Princesse Zubianska, descendante du despote de Dobroudja, Balko de Dobritch, dont la lignée fut décimée ou poussée

Lettres d'un jeune prisonnier à la Mousson (Troisième et dernier extrait)

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Prison centrale de douala, cellule n°7, 01 juillet… Mousson, [1] Désolé pour mon silence de ces derniers jours, mais il faut t’avouer que ton silence à toi aussi est incompréhensible, j’écrirais même impoli ; si tu veux tout savoir, c’est la raison pour laquelle j’ai rangé mon crayon / Néanmoins, je me suis dis que ça devait mettre un temps fou pour te parvenir, mon courrier, alors je me suis adouci et je reprends, comme tu le constateras lorsque tu verras l’écart entre cette lettre et la précédente, le commerce avec toi (j’adore ce mot : “ commerce ”) / Tu voudrais savoir ce qui m’est arrivé ces derniers jours ? Réponse : rien, sinon une chose des plus banales ici, il me semble : je me suis mis à boire / Tu sais, je t’ai écris dans la précédente que je n’osais toucher à une verre d’alcool, ni fumer quoi que ce soit / Je tenais bon mes engagements, mais voilà, tu comprends, mes ailes se sont fatiguées de battre dans le vide, et je me suis mis à boire / T

Lettres d'un jeune prisonnier à la Mousson (Deuxième Extrait)

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Prison centrale de douala, cellule n°7, 23 Juin… Mousson, Ici aussi c’est un monde : un monde dans le monde, avec des riches et des pauvres, des hommes et des femmes et des enfants, et... Bon, j’arrête là ! Tu le sais, tout cela / Je veux juste te dire qu’aujourd’hui il y a eut une évasion, des gars du quartier “régime” / Les sentinelles en ont tué un, une rafale semble t-il, mais moi, je n’ai rien entendu ; tu le sais déjà, que j’ai un sommeil de plomb / Les femmes en parlent dans la cour à perdre haleine ; certaines, alanguies peut-être par le souvenir de la douleur de l'enfantement, pensent à la mère du mort : comment peut se sentir une mère quand elle reçoit la nouvelle de la mort de son fils ? a dit l’une d’elles ; pour d'autres, il faut éviter qu'il soit pris en exemple par les adolescents / Ceux-ci, somme toute insouciants, admirent son courage et surtout l'habileté avec laquelle il réussit à enthousiasmer les gens grâce à sa mort / Mais

La tunique du mort [2]

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Edvard Munch, The day after [1] Le père Marigaut-Chéri, qui habitait Morne-Pichevin, un bidonville perché sur les hauteurs vertes de Fort-de-France, rentra chez lui avec, dans son poing fermé, un morceau de la tunique du mort. Aussitôt qu’il poussa la porte brinquebalante de sa case en planches, il se précipita vers son épouse qui veillait depuis fort longtemps une casserole d’eau en ébullition sur le réchaud de pétrole, dernier vestige des divers cadeaux que sa belle-famille, alors bien lotie en ce temps-là, lui avait offert en guise de bienvenue dans leur fratrie nombreuse, maintenant disséminée dans les terres d’Amérique et de Nouvelle Gaule. J’ai ma part de la tunique du mort, cria t-il, exalté, à l’attention de son épouse. Celle-ci piaffa du nerf et cracha sur la terre battue, plancher naturel de cette maison offerte aux caprices de la pluie et du vent. Nous n’avons rien à manger, poursuivit-elle, et cette tunique du mort, même laissée des heures durant dans cette ea